RÉSUMÉ
Me Jane Grant commente cette décision dans laquelle la Cour d’appel devait vérifier si le tribunal de première instance était fondé à homologuer une convention sur mesures accessoires et à prononcer un jugement de divorce alors que les parties procédaient à l’audition d’une requête en homologation de transaction et en irrecevabilité.
INTRODUCTION
Dans V. (L.) c. D. (R.)1, la Cour d’appel réitère que c’est au juge du fond qu’il revient de se prononcer sur les demandes en divorce et de décider s’il y a lieu d’entériner une convention pour valoir comme mesures accessoires en l’appréciant dans son ensemble. C’est en effet au juge du fond de décider du sort d’une demande initiale d’aliments, et les règles dégagées par la Cour suprême dans l’arrêt Miglin2 doivent être appliquées en conséquence.
I- LES FAITS
Les parties ont vécu ensemble durant près de 23 ans et se sont séparées en 1992. Dans cette même année, elles ont signé une convention devant notaire réglant toutes les conséquences de leur séparation et incluant une renonciation alimentaire. Elles ont également convenu que, le cas échéant, cette convention serait jointe, à titre de convention sur mesures accessoires, à une demande en divorce ou en séparation de corps.
Le 27 janvier 2004, madame dépose une requête en divorce dans laquelle elle demande, entre autres choses, d’écarter la convention intervenue en 1992, mais sans en demander l’annulation. Elle demande également une pension alimentaire et une somme globale pour elle-même. La requête contient également d’autres conclusions. Au stade provisoire, madame demande une pension alimentaire pour elle-même ainsi qu’une provision pour frais.
Monsieur réplique par une requête en homologation de transaction et en irrecevabilité par laquelle il demande au tribunal de prononcer un jugement de divorce entre les parties. Par la suite, il dépose également une demande reconventionnelle dans laquelle les mêmes conclusions sont reproduites.
Il a été décidé que les parties procéderaient d’abord sur la requête en homologation de transaction et en irrecevabilité déposée par monsieur et, ensuite, sur la requête sur mesures provisoires si le temps le permettait.
Après une audition de trois jours, la juge de première instance prononce le jugement de divorce des parties, homologue la convention intervenue en 1992 et l’entérine pour valoir comme mesures accessoires, prend acte de la renonciation aux gains inscrits à la Régie des rentes du Québec et rejette la demande en divorce de madame. Celle-ci en appelle de cette décision.
II- LA DÉCISION
Madame soulève trois moyens d’appel:
la requête de monsieur aurait dû être déférée au juge du fond;
la nullité de la convention;
le caractère déraisonnable de la convention et ses besoins personnels en 2004.
Les juges considèrent que le moyen utilisé par monsieur, soit de joindre en une seule requête des demandes de nature différente, a rendu la tâche difficile pour la juge de première instance. Cette dernière aurait dû, dans un premier temps, statuer sur la requête en irrecevabilité et, ensuite, déférer les autres conclusions de la requête au juge du fond.
Au début, il avait été prévu lors de l’audience en première instance que le tribunal entendrait les témoins et arguments portant sur la validité de la convention, mais sans se prononcer sur les mesures accessoires. D’ailleurs, madame n’a jamais consenti à procéder sur la requête de monsieur à ce stade et sa demande relative aux mesures provisoires n’a pas été entendue.
En décidant de la requête interlocutoire, la juge de première instance ne pouvait entériner la convention pour valoir comme mesures accessoires au divorce, et encore moins homologuer les clauses à caractère alimentaire. En effet, le caractère d’une transaction n’a pas les mêmes conséquences pour les conventions alimentaires puisqu’il appartient au tribunal d’apprécier celles-ci et de vérifier si les critères de la Loi sur le divorce3 ont été remplis et les objectifs de celle-ci atteints (art. 15.2).
La juge de première instance ne pouvait effectuer ces vérifications puisqu’elle n’était pas saisie de la demande en divorce et que l’exercice ne pouvait se faire qu’à ce moment. D’ailleurs, la preuve de madame a été limitée et celle-ci a dû s’en tenir à une preuve sommaire de sa situation financière actuelle.
Étant donné qu’une convention forme un tout, et considérant les conclusions recherchées par chacune des parties quant à la validité ou non de cette convention, la cause aurait dû être déférée au juge du fond.
Même si, à première vue, les demandes de madame paraissent incompatibles avec les dispositions de la convention et même si la remise en état paraît impossible, cela n’a pas pour effet d’empêcher madame de tenter de faire une preuve contraire.
Conformément à l’arrêt Miglin de la Cour suprême, il s’agit d’une demande initiale d’aliments entre époux fondée sur l’article 15.2 de la Loi sur le divorce, demande incompatible avec un accord antérieur, lequel exige l’examen de toutes les circonstances au moment de sa conclusion et lors de la demande.
Cet exercice se fait en deux étapes. Dans un premier temps, le tribunal doit examiner les circonstances de la conclusion de l’accord et son contenu. Dans un deuxième temps, il doit vérifier s’il existe un changement important dans la situation des parties par rapport à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir au moment de la négociation. En l’espèce, madame a été limitée dans sa preuve. Or, elle n’aurait pas dû l’être, puisque cela a eu comme conséquence que la deuxième étape n’a pu être examinée conformément aux principes énoncés par la Cour suprême.
Les juges considèrent que l’analyse effectuée par la juge de première instance quant aux circonstances entourant la conclusion de la convention ne comporte aucune erreur. Cependant, en ce qui concerne la deuxième étape, il en est autrement.
Madame n’a jamais voulu procéder sur la requête de monsieur; elle a toujours demandé que cette requête soit déférée au juge du fond, ce qui lui a été refusé. En plus, dans son jugement, la juge de première instance mentionne que madame n’a présenté aucune preuve de changement important alors qu’en fait cette dernière a été empêchée de le faire.
Les juges de la Cour d’appel considèrent qu’il en aurait été autrement si la requête interlocutoire avait été convertie en moyen de contestation et déférée au juge du fond. À ce moment, madame aurait pu soumettre toute sa preuve et le juge du fond aurait eu un portrait complet pour rendre sa décision. La convention devait être appréciée dans son ensemble et seul le juge du fond pouvait le faire.
III- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
Nous voyons dans cette cause l’importance du choix du moyen de contestation utilisé à l’encontre d’une requête en divorce; le moyen utilisé par monsieur a compliqué inutilement le dossier. À notre sens, il était impossible, pour la juge de première instance, de rendre une décision sur la validité de la convention sans entendre toute la preuve. Il est clair également que la juge ne pouvait homologuer une convention et prononcer un jugement de divorce alors que les parties n’étaient qu’au stade interlocutoire.
CONCLUSION
L’Intervention de la Cour d’appel est justifiée dans les circonstances, puisque la juge de première instance ne pouvait se substituer au juge du fond. Cette décision nous rappelle que le choix procédural peut avoir une grande conséquence sur le déroulement d’un dossier.
Jane Grant, avocate
1. EYB 2006-99978 (C.A.) ; demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, no 31380, 22 juin 2006
2. Miglin c. Miglin , REJB 2003-40012 (C.S.C.)
3. L.R.C. (1985), c. 3 (2 e suppl.)