Jane Grant

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Source : Les Éditions Yvon Blais

Spécialités

Droit des personnes et de la famille,

14 février 2011

ALIÉNATION D’AFFECTION ET CHANGEMENT DE GARDE D’ENFANT AU PROFIT D’UN TIERS

RÉSUMÉ

Me Jane Grant commente cette décision de la Cour supérieure dans laquelle la juge Nicole-M. Gibeau se penche sur l’intérêt d’un enfant dans le cadre d’une demande de changement de garde  exercée par la grand-mère étant donné le comportement aliénant du père.

INTRODUCTION

Dans R. (C.) c. C. (P.), sub nom. Droit de la famille – 103481  , la juge de la Cour supérieure doit décider s’il y a des changements significatifs permettant que la garde de l’enfant soit accordée à la grand-mère en raison des comportements aliénants du père, le tout malgré le désir de l’enfant de demeurer avec ce dernier. La juge accueille la demande en changement de garde, puisqu’il est dans l’intérêt de l’enfant qu’il change de milieu.

I- LES FAITS 

L’enfant X naît en 2001, mais ce n’est qu’en 2002 que sa mère fait reconnaître la paternité du défendeur par voie judiciaire. Ce dernier ne réclame alors aucun droit d’accès à son fils. En 2005, un jugement confie la garde de X à sa mère et fixe une pension alimentaire au profit de ce dernier. Aucun droit d’accès pour le père n’est fixé, puisque ce dernier n’en demande pas. Alors que X est âgé de 5 ans, sa mère part vivre avec lui en Belgique pour aller y travailler. En raison de certaines circonstances, la mère met fin à ses jours à l’été 2008. En septembre de la même année, la garde de X est accordée à sa grand-mère maternelle, la demanderesse, avec le consentement du défendeur. Ce dernier n’a en effet eu aucun contact avec son fils depuis sa naissance. Quant à la demanderesse, elle a toujours été dans la vie de son petit-fils depuis sa naissance.

À la suite d’une initiative de la demanderesse, le défendeur s’est rapproché de son fils et, en avril 2009, il en demande la garde. Au départ, la demanderesse consent au changement de garde et accepte un droit d’accès limité à une journée par mois. Elle se ravise ensuite et demande des droits d’accès plus généreux. Le 7 octobre 2009, cette demande est acceptée par le tribunal et le juge rappelle au défendeur qu’il est important de maintenir les contacts entre X et sa grand-mère, étant donné qu’elle a toujours été très proche de l’enfant depuis sa naissance. La demanderesse réussit alors à exercer son droit d’accès à deux reprises, mais le défendeur y met ensuite fin. Elle fait appel au service de police, mais sans succès. Malgré cela, la demanderesse continue de se rendre au domicile du défendeur pour exercer son droit d’accès, mais celui-ci ne s’y trouve jamais.

Il s’en suit une escalade de procédures. En janvier 2010, une ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal est signifiée au défendeur. Ce dernier rétorque par une requête en supervision de droits d’accès, laquelle est rejetée. Le défendeur tente même, en réouverture d’enquête, de prouver que X aurait participé à des jeux sexuels alors qu’il était au domicile de la demanderesse. Malgré cette tentative, le juge maintient le jugement d’octobre 2009 et précise que l’échange de l’enfant devra se faire dans un lieu public.

Faisant fi de la décision du tribunal, le défendeur ne se présente pas au lieu déterminé pour l’échange et dépose une plainte à la Protection de la jeunesse, laquelle plainte ne sera finalement pas retenue.

En mai 2010, une seconde ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal est signifiée au défendeur. Après avoir entendu la preuve, le tribunal le condamne à un emprisonnement de 45 jours, mais sursoit à l’exécution si le défendeur respecte diverses ordonnances. À la suite de cette décision, la demanderesse reprend l’exercice de ses droits d’accès à compter de juillet 2010, mais le 29 août, le défendeur et sa conjointe intimident délibérément la demanderesse alors qu’elle se trouve à l’endroit prévu pour l’échange de l’enfant. Après ce malheureux évènement, une ordonnance intérimaire est prononcée confiant la garde de X à la demanderesse et ordonnant la suspension de tous les droits d’accès du défendeur.  Le juge nomme également un procureur afin de représenter X.

C’est suite à ces évènements que la demanderesse demande au tribunal de lui confier la garde de son petit-fils. Elle prétend que ce dernier est victime d’aliénation parentale et que le défendeur cherche à l’éliminer de la vie de l’enfant. Le défendeur, quant à lui, s’excuse de sa conduite lors de l’audition et mentionne à la juge qu’il comprend l’importance de la présence de la demanderesse dans la vie de X. Il souhaite que sa conjointe serve d’intermédiaire entre lui et la demanderesse. Toujours selon le défendeur, il n’existe aucun changement significatif qui justifierait le changement de garde de X.

Quant au procureur de l’enfant, il considère que ce dernier, qui est âgé de neuf ans, est en mesure de lui donner un mandat clair et qu’il souhaite vivre chez son père et voir sa grand-mère à l’occasion, mais qu’il désire par-dessus tout avoir la tranquillité et la paix.


II- LA DÉCISION

La juge en vient notamment à la conclusion qu’il est dans l’intérêt de X de confier sa garde à la demanderesse et d’accorder au défendeur des droits d’accès limités, mais sans coucher. Elle recommande également au défendeur de s’inscrire et de participer au séminaire de coparentalité offert par le Palais de justice de Montréal. Considérant les procédures abusives exercées par le défendeur et le comportement de ce dernier au cours des auditions, la juge accorde également une provision pour frais de 7 000 $ à la demanderesse.

En ce qui concerne la garde, la juge se réfère aux articles 599 et 600 C.c.Q. concernant les droits et devoirs des parents. Par ailleurs, elle précise que c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer dans toute décision le concernant, et ce, comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada2 et comme le prévoit le Code civil du Québec3. De même, dans l’arrêt de la Cour suprême, il est reconnu que la garde d’un enfant peut être confiée à un tiers lorsqu’il y va de son bien-être, et ce, même en l’absence de tout comportement fautif de la part du titulaire de l’autorité parentale.

Concernant le comportement des parties, la juge mentionne que la demanderesse a joué un rôle important dans la vie de l’enfant. Après le décès de sa fille, c’est même la demanderesse qui a instauré des contacts entre X et le défendeur afin que ce dernier en obtienne éventuellement la garde. La juge constate que la demanderesse, dans ses agissements, a toujours eu à coeur le bien-être et le bonheur de son petit-fils. Elle précise que cette dernière accepte d’assumer la garde de X, avec toutes les responsabilités que cela implique, et espère, un jour, ne jouer que son rôle de grand-mère. La juge déplore le comportement du défendeur et constate que la preuve démontre, sans aucun doute, qu’il a toujours fait obstruction aux droits d’accès de la demanderesse, et ce, sans justification. La juge ne lui accorde aucune crédibilité lorsqu’il déclare regretter ses gestes et comprendre l’importance de la présence de la demanderesse dans la vie de X. Analysant le comportement du défendeur, la juge considère qu’un tel comportement est de nature à compromettre le développement et l’épanouissement de l’enfant.

Quant à l’aliénation parentale invoquée par la demanderesse, la juge précise qu’il s’agit plutôt d’aliénation d’affection, puisqu’il ne s’agit pas d’un conflit entre le père et la mère. Elle ne peut évaluer les conséquences de cette aliénation sur la vie de l’enfant, mais note que le comportement du défendeur démontre qu’il ne se soucie que très peu du bien-être de son fils. À cet effet, elle cite quelques exemples, à savoir : le dénigrement, la plainte à la DPJ, le changement de nom de l’enfant et le fait de placer l’enfant dans un conflit de loyauté. À l’égard de ce conflit, la juge fait référence à un jugement prononcé par la juge Tessier-Couture qui concerne les conséquences qu’un conflit de loyauté peut provoquer chez un enfant4.

Quant à l’opinion de l’enfant, le tribunal doit la considérer, mais il n’est pas lié par le choix qu’il peut exprimer5. Ce choix peut toutefois aider le tribunal dans la recherche de l’intérêt de l’enfant6. En l’espèce, la juge Gibeau ne respectera pas le désir de l’enfant de demeurer avec son père. Elle considère en effet que l’enfant n’est pas en mesure de comprendre le danger qui le menace et est d’avis qu’il doit vivre dans un milieu harmonieux, serein et libre de tout conflit d’allégeance. Elle considère qu’en raison du comportement aliénant du défendeur, des changements significatifs sont survenus lui permettant de faire droit au changement de garde de l’enfant. Afin d’aider le défendeur à l’égard de ses difficultés de communication avec la demanderesse et dans le but qu’il comprenne l’importance d’une collaboration respectueuse et positive, la juge lui recommande de s’inscrire au séminaire sur la coparentalité. Concernant les droits d’accès, la demanderesse demande qu’ils soient supervisés, mais, pour l’instant, étant donné les excuses exprimées par le défendeur lors de l’audition, la juge lui accorde une chance de démontrer sa bonne volonté. Il n’y aura donc pas de supervision lors de l’exercice de ses droits d’accès, à moins qu’il ne tienne pas son engagement.

IV-  LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

Suivant les faits de cette cause et la preuve faite devant le tribunal, il était indéniable que le changement de garde de l’enfant devait être accordé en faveur de la demanderesse. Cependant, il ne faudrait pas que ce changement de garde soit interprété par l’enfant de façon négative, puisque la juge n’a pas respecté son désir. Peut-être est-ce pour cette raison que la juge n’a pas maintenu l’emprisonnement de 45 jours qui était prévu dans une ordonnance antérieure. À notre avis, il s’agit là d’une autre chance accordée au défendeur. Est-ce que la juge aurait pu ordonner qu’une rencontre ait lieu entre l’enfant et son procureur afin de lui expliquer, de façon sommaire, le contenu du jugement, question de tenter de diminuer les perceptions négatives qu’il pourrait avoir en raison du fait que son désir n’a pas été respecté ? Est-ce que le père respectera les recommandations de la juge et participera au séminaire de coparentalité ? Il est souhaitable que le passé ne soit pas garant de l’avenir car, si on se fie sur le passé, il y a peu de chances que le comportement du père change. Nous croyons qu’il s’agit du jugement de la dernière chance. Il faut espérer que le défendeur saura saisir cette chance pour pouvoir reprendre éventuellement la garde de son fils et que la demanderesse pourra jouer son rôle de grand-mère. À notre avis, la décision de la juge Gibeau a été guidée uniquement par l’intérêt de l’enfant et dans l’espoir d’une réhabilitation du père.

CONCLUSION

La décision commentée nous rappelle qu’une personne n’est jamais gagnante quand elle adopte un comportement aliénant et que le seul perdant est en définitive l’enfant.


1    EYB 2010-184424 (C.S.).
2    C. (G.) c. V.-F. (T.), EYB 1987-67733 (C.S.C.).
3    Art. 32, 33, 34 et 35 C.c.Q.
4    Droit de la famille – 07956, EYB 2007-118896 (C.S.), par. 30.
5    Droit de la famille – 091577, EYB 2009-161297 (C.S.C.).
6    A. (M.) c. L. (S.), EYB 2005-87235 (C.S.).

© Simard Boivin Lemieux, 2014. Tous droits réservés.

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