Jane Grant

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Source : Les Éditions Yvon Blais

Spécialités

Droit des personnes et de la famille,

15 décembre 2008

DÉVOLUTION ET DEMANDE DE PARTAGE DES DROITS À LA RETRAITE, À NE PAS CONFONDRE

RÉSUMÉ

Me Jane Grant commente cette décision dans laquelle la Cour d’appel se penche sur la prescription d’une demande de partage d’un régime de retraite présentée dans le cadre d’un jugement de divorce suivant l’article 426 C.c.Q.

INTRODUCTION

Dans D. (T.) c. N. (R.)1 , les juges de la Cour d’appel doivent décider si les règles de prescription, dans le cadre de l’exécution d’un jugement, doivent s’appliquer à la demande de partage d’un régime de retraite présentée alors qu’une convention a été entérinée par jugement de divorce.

I- LES FAITS

Les parties sont mariées depuis près de 23 ans. Durant cette période, monsieur a cotisé au régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). Le jugement de divorce prononcé le 21 novembre 1994 entérine une convention signée le 16 novembre de la même année et la déclare exécutoire. Cette convention prévoit le partage du patrimoine familial et, plus particulièrement, le partage en parts égales des sommes accumulées à titre de fonds de retraite privé ou public, de fonds de pension ou de toute autre forme de régime de retraite.

La preuve révèle qu’au moment du jugement de divorce, madame croit que le partage du fonds de pension s’effectuera lorsque monsieur prendra sa retraite. La preuve révèle également qu’il n’y a eu aucune entente postérieure au jugement de divorce quant au report du terme du partage du fonds de pension et que monsieur n’était pas de mauvaise foi.

En décembre 2004, monsieur décide de prendre sa retraite. Il est alors informé qu’aucune demande de partage de son régime de retraite n’a été formulée. Ce n’est qu’en février 2005 qu’il est informé qu’une telle demande a été présentée. Par l’intermédiaire de son avocate, il fait alors parvenir une lettre à la CARRA indiquant que le droit au partage est éteint. Il prend sa retraite le 24 février 2005. En mars 2005, la CARRA émet un relevé des droits de monsieur et, en avril de la même année, avise ce dernier qu’une demande d’acquittement des sommes attribuables à madame lui a été adressée. La CARRA joint à sa lettre un acte de renonciation à la prescription de 10 ans prévue à l’article 2924 C.c.Q. afin de pouvoir procéder au partage. Monsieur ne donne pas suite à cette lettre. Il dépose plutôt une requête pour jugement déclaratoire afin que le droit de madame au partage de son régime de retraite soit déclaré prescrit.

II- LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

Le juge de première instance en vient à la conclusion que le recours de madame est prescrit suivant l’article 2924 C.c.Q. Il précise que la prescription a commencé à courir le 23 décembre 1994, soit le 31e jour suivant le prononcé du jugement de divorce. Il mentionne qu’aucune disposition de la convention ne laisse supposer que les parties ont reporté le moment du partage. Il n’y a pas d’interruption de la prescription ni de renonciation à celle-ci, et ce, malgré l’ignorance de madame quant à ses droits.

III- LES ARGUMENTS EN APPEIL

Dans sa procédure d’appel, madame soutient que le juge de première instance aurait dû tenir compte d’une entente verbale intervenue postérieurement au jugement de divorce et qui aurait en quelque sorte pour effet de reporter le partage du fonds de pension au moment de la retraite de monsieur. Cependant, à l’audience, elle plaide un tout autre argument, soit que les droits auxquels elle prétend ne résultent pas du jugement de divorce, mais bien des dispositions de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics  (loi sur le RREGOP) et de ses règlements portant sur le partage3  et la cession des droits accumulés.

Madame prétend en effet qu’en vertu de l’article 426 C.c.Q., l’évaluation et la dévolution du régime de retraite de monsieur sont régies exclusivement par la loi sur le RREGOP et son règlement sur le partage. Elle prétend également qu’en vertu de la convention, il y a un véritable transfert de biens. Elle serait donc devenue titulaire de ces droits pour moitié et la relation créancière-débiteur n’existerait qu’entre elle et la CARRA. Ainsi, à compter de ce moment, ses droits ne dépendraient plus de l’exécution du jugement de divorce, mais plutôt du régime administratif prévu à la loi sur le RREGOP qui, lui, ne prévoit aucun délai quant au processus de partage.

Monsieur, quant à lui, invoque le dernier alinéa de l’article 426 C.c.Q. relatif au caractère saisissable entre époux des droits accumulés au titre d’un régime de retraite. Le juge Giroux indique qu’il s’agit d’une mesure conservatoire et que cette règle ne constitue aucunement une modalité d’exécution du jugement. Monsieur invoque également le dernier alinéa de l’article 13 du règlement sur le partage qui prévoit la possibilité, pour le conjoint du cotisant, d’effectuer une saisie-exécution des droits accumulés dans le régime de pension du cotisant, ce à quoi le juge Giroux rétorque qu’une telle saisie-exécution peut être exercée pour d’autres motifs que le partage du patrimoine familial.

IV- LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL

Le droit des conjoints dans le patrimoine familial est un droit de créance général et personnel qui se cristallise lors du décès de l’un d’eux, d’un recours en nullité de mariage, en séparation de corps ou en divorce. En l’espèce, les parties ont procédé au partage de leur patrimoine familial par convention et ont décidé de partager également les droits accumulés au titre d’un régime de retraite, partage régi par l’article 426 C.c.Q. dont le premier alinéa indique ce qui suit :

Le partage des droits accumulés par l’un des époux au titre d’un régime de retraite régi ou établi par une loi est effectué conformément, s’il en existe, aux règles d’évaluation et de dévolution édictées par cette loi. […]

Dans la cause qui nous occupe, une telle loi existe. Il s’agit de la Loi sur le RREGOP et de son règlement. Il faut donc s’en remettre à cette loi, qui prévoit les règles d’évaluation et de dévolution des droits à la retraite lors d’un jugement de divorce, règles prévues aux articles 122.1 à 122.3 de la Loi et aux articles 11 à 13 du règlement sur le partage. Comme le mentionne le juge Gendreau de la Cour d’appel,  » ces textes sont autonomes et complets par eux-mêmes; il est donc inutile de revenir aux dispositions du Code civil4 « . La même règle a été reprise par la Cour d’appel relativement au partage d’un régime de retraite régi par une loi fédérale5.

À la lecture de ces articles, on comprend que c’est la CARRA qui administre le régime de pension, qui informe les parties des sommes qui seront attribuées au conjoint du cotisant et du montant de la réduction de la rente qui découle de l’attribution des droits. C’est également elle qui procède à l’acquittement des sommes attribuées, et ce, sur demande du conjoint du cotisant.

Par conséquent, lorsqu’un jugement est prononcé relativement au partage d’un fonds de pension, il faut conclure que le législateur a choisi, par la rédaction de l’article 426 C.c.Q., de s’en remettre à la loi qui établit ou qui régit ce régime pour ce qui est de la transmission des droits. Or, ni la loi sur le RREGOP ni son règlement ne prévoit un délai pour faire la demande d’évaluation des droits et la demande d’acquittement de ceux-ci.

Reprenant l’analyse du juge de première instance, le juge Giroux considère que l’on ne peut conclure qu’il s’agit d’un droit de créance puisque, au moment de la signature de la convention, les parties ne connaissaient pas le montant qui serait reçu par madame. Il ajoute qu’il faut tenir compte de la nature particulière du partage des droits à la retraite, des lois applicables aux différents régimes et de la rédaction de l’article 426 C.c.Q., qui donne préséance à ces lois.

En conséquence, le juge Giroux en vient à la conclusion que le conjoint du cotisant devient propriétaire de la partie des droits accumulés par ce dernier au régime de retraite dès le moment de la prise d’effet du jugement ordonnant un tel partage ou entérinant une convention prévoyant le partage de ces droits. Madame est donc devenue titulaire de ces droits dès le divorce et il n’existe plus de relation créancier-débiteur entre elle et monsieur quant au partage du fonds de pension. En définitive, la demande d’acquittement des droits à la retraite dont madame est titulaire n’était pas prescrite.

V-  LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

La décision du juge Giroux est une suite logique des décisions antérieures rendues par la Cour d’appel quant à l’interprétation de l’article 426 C.c.Q. D’ailleurs, à la lecture de cet article, il est assez clair que le partage des droits à la retraite doit être effectué en conformité avec les lois qui établissent et régissent ces régimes, s’il en existe.

Par ailleurs, il existe sûrement des personnes qui ont effectué des demandes d’acquittement des droits à la retraite plus de 10 ans après le prononcé du jugement et dont la demande a été refusée par l’administrateur du régime de retraite en raison de l’acte de renonciation à la prescription qui devait être signé par le cotisant pour pouvoir procéder au partage. Or, celles qui n’ont pas les moyens financiers de faire trancher cette question par le tribunal renoncent tout simplement à leur droit. En conséquence, cette décision de la Cour d’appel pourra sûrement entraîner des demandes d’acquittement de droits à la retraite, demandes présentées par ces personnes qui se sont vu refuser une telle demande. Cependant, étant donné qu’il est illusoire, dans certains cas, de penser que ces personnes seront mises au courant de la décision de la Cour d’appel, est-ce que l’administrateur du régime de retraite n’aurait pas le devoir de les aviser afin qu’elles puissent faire valoir leur droit qui n’était pas prescrit à l’époque?

CONCLUSION

Cette décision fait la lumière sur l’interprétation de l’article 426 C.c.Q. et mettra sûrement fin à toute controverse qui pouvait exister en regard du partage des sommes accumulées au titre d’un régime de retraite.


1 EYB 2008-149069 (C.A.);
2 Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q.,  c. R-10;
3 Règlement sur le partage et la cession des droits accumulés au titre de régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, R.R.Q., c.  R-10, r. 1.5;
4 Association de bienfaisance et de retraite des policiers de la Communauté urbaine de Montréal c. L. (R.), REJB 1999-11104 (C.A.);
5 C.(L.) c. S. (C.) sub nom. Droit de la famille – 08316, EYB 2008-129601 (C.A.), par. 32.

© Simard Boivin Lemieux, 2014. Tous droits réservés.

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