RÉSUMÉ
Me Jane Grant commente cette décision de la Cour supérieure dans laquelle le juge Barakett se penche sur la question du droit de l’enfant majeure de recevoir une pension alimentaire après l’obtention d’un diplôme de premier cycle.
INTRODUCTION
Dans R. (L.) c. P. (R.)1, le juge applique les règles de base en matière de pension alimentaire pour un enfant, à savoir les besoins de l’enfant versus les moyens des parents. Le juge considère en effet que les règles relatives à la fixation d’une pension alimentaire sont les mêmes, qu’il s’agisse d’un enfant majeur ou d’un enfant mineur. C’est donc à partir de ces règles que le juge détermine en l’espèce le montant de la pension alimentaire attribuable pour l’enfant.
I- LES FAITS
Les parties sont divorcées depuis octobre 2000. Maintenant âgée de 23 ans, J. demeure avec son père depuis janvier 2002. À l’été 2006, elle a reçu son baccalauréat en service social et était disponible, à ce moment, pour travailler dans son domaine ou dans un emploi connexe. Elle a cependant décidé de s’inscrire au programme de maîtrise, d’une durée de deux ans.
La mère demande l’annulation de la pension alimentaire qu’elle verse pour sa fille étant donné que celle-ci détient maintenant un baccalauréat et qu’elle est en mesure de voler de ses propres ailes. Le père, quant à lui, demande que la mère continue de payer la pension alimentaire, alléguant que J. n’est pas autonome.
Le juge Barakett considère qu’il s’agit d’un débat social plutôt que juridique.
II- LA DÉCISION
La question est de savoir si une enfant majeure ayant obtenu un baccalauréat et pouvant travailler dans son domaine a droit à une pension alimentaire si elle décide de s’inscrire dans un programme de maîtrise. Pour répondre à cette question, le juge Barakett applique les règles de base en fixation de pension alimentaire pour enfants, et ce, même si l’enfant en question est considérée comme autonome du point de vue des études.
L’enfant doit donc démontrer qu’elle a un besoin et que ses parents ont les moyens de combler ce besoin. Pour ce faire, elle ne doit pas être autonome et doit être de bonne foi. Pour conclure à la bonne foi de l’enfant, le juge doit répondre aux questions suivantes :
- Est-ce que l’enfant a fait les efforts nécessaires pour s’aider elle-même avant de demander de l’aide et, dans l’affirmative, est-ce que, malgré ses efforts, l’enfant demeure toujours dans le besoin ?
- Si la réponse à ces deux questions est positive, le juge doit déterminer si les parents ont les moyens de lui venir en aide.
Après avoir répondu affirmativement à ces questions, le juge Barakett analyse la preuve afin de qualifier l’aide financière que les parents devront apporter à J.
Puisque J. travaille pour subvenir en grande partie à ses besoins, sa bonne foi doit être présumée. Ainsi, même si le programme de maîtrise est un luxe, J. peut demander ce privilège à ses parents, qui ont les moyens de l’aider financièrement.
Après analyse des revenus de J. provenant de son travail et des prêts et bourses qu’elle reçoit, de ses besoins et des revenus de ses parents, le juge considère que la mère devra verser une pension alimentaire annuelle de 1 800 $ et que le père devra lui fournir le gîte.
III- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
Bien que le juge considère qu’il s’agit en l’espèce d’un débat social, il applique les règles de droit et ne déborde pas du cadre juridique. Si l’enfant démontre qu’il est de bonne foi et qu’il a un besoin et si ses parents ont les moyens nécessaires, le calcul est effectué pour fixer l’aide qui devra être accordée. Mais où se trouve la limite? Jusqu’à quel point un enfant peut-il requérir l’aide financière de ses parents? L’enfant majeur de bonne foi dont les parents n’ont pas les moyens s’organise financièrement s’il veut profiter d’un programme de deuxième cycle. Devrait-on en demander autant à l’enfant dont les parents sont plus à l’aise financièrement? Autant de questions qui restent sans réponse.
Il est difficile de tracer la ligne et chaque cas est un cas d’espèce. Les tribunaux ont tendance à considérer comme autonomes des enfants majeurs ayant des revenus annuels supérieurs à 10 000 $.
Cependant, il est certain que, dans les cas d’études supérieures de deuxième cycle, le fait que les parents ont la capacité financière de payer une pension alimentaire facilite la décision des juges d’en fixer une.
Par ailleurs, nous croyons que l’établissement des besoins est très relatif. Dans la société d’aujourd’hui, il est facile de se créer des besoins, et la ligne de la » nécessité et du raisonnable » est souvent difficile à trouver. Dans la décision commentée, nous ne savons pas de quelle façon ont été répartis les besoins, établis à 14 500 $ par année. Est-ce que l’enfant aurait pu se débrouiller sans l’aide financière de ses parents avec un revenu annuel de 12 000 $? Possiblement, en faisant attention à ses dépenses. Cependant, le juge Barakett a préféré s’assurer que l’enfant n’aurait pas de problèmes financiers durant ses études et a jugé qu’elle pouvait demander ce privilège à ses parents, qui en avaient les moyens. En définitive, tout est relatif.
CONCLUSION
La décision du juge Barakett est assez bien motivée et, pour ce faire, celui-ci se base uniquement sur les principes de droit applicables en matière de fixation de pension alimentaire pour enfants. Après avoir passé le test des besoins et des moyens, le juge en vient à la conclusion que l’enfant majeure a encore besoin d’une aide financière de ses parents.
Jane Grant, avocate
1. EYB 2006-108685 (C.S.)