RÉSUMÉ
Me Jane Grant commente cette décision dans laquelle la Cour d’appel se penche notamment sur l’inclusion ou non dans le montant de la pension alimentaire de frais particuliers engagés unilatéralement par le parent gardien.
INTRODUCTION
Dans R. (V.) c. D. (S.), sub nom. Droit de la famille – 105661, la Cour d’appel doit décider si le juge de première instance pouvait exclure du montant de la pension alimentaire les frais de scolarité pour la fréquentation d’une école privée alors que cette décision a été prise de façon unilatérale.
I- LES FAITS
Les parties sont divorcées depuis septembre 2003. À ce moment, la garde des enfants X et Y est confiée à madame et la pension alimentaire annuelle payable pour le bénéfice des enfants est fixée à 7 055,85 $, incluant les frais de garde de Y ainsi que les frais de scolarité d’école privée pour X. Concernant ces derniers frais, la preuve démontre que les parties avaient convenu, bien avant leur séparation, que les enfants fréquenteraient l’école privée. D’ailleurs, X était sur une liste d’attente depuis qu’il avait deux ans.
En 2004, alors que les communications entre les parties sont difficiles, madame inscrit Y, de façon unilatérale, à l’école privée fréquentée par X. Madame ne présente toutefois aucune demande de modification de la pension alimentaire afin d’inclure les frais scolaires. Elle a tout simplement utilisé les frais de garde inclus dans la pension alimentaire pour acquitter le coût de l’école privée, ce qui en quelque sorte compensait.
À compter de novembre 2007, monsieur cesse d’exercer ses droits d’accès auprès de ses enfants. En septembre 2008, il dépose une requête en modification des mesures accessoires pour faire réduire la pension alimentaire payable pour le bénéfice de ses enfants. Il allègue que ses revenus ont diminué et que ceux de madame ont augmenté. Cette dernière conteste cette demande, car monsieur ne s’implique plus dans la vie de ses enfants. Elle soutient également que les frais particuliers ont augmenté, puisque Y fréquente l’école privée depuis quelques années, que les enfants pratiquent plus d’activités et que le coût des médicaments que doit prendre X en raison de sa condition médicale est plus élevé, ce qui représente des frais totaux de 9 568,50 $ par année.
II- LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE CONCERNANT LES FRAIS PARTICULIERS POUR LA FRÉQUENTATION DE L’ÉCOLE PRIVÉE
Le juge de première instance refuse d’inclure dans le montant de la pension alimentaire les frais de scolarité pour la fréquentation de l’école privée de Y étant donné que monsieur n’a jamais été consulté à ce sujet. Il base sa décision sur le fait que les frais d’inscription à l’école privée doivent être raisonnables eu égard aux revenus des parties.
III- LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL
Dans une décision unanime, l’appel est accueilli à la seule fin d’augmenter le montant de la pension alimentaire.
A. Les arguments de madame
Madame allègue que Y a droit aux mêmes avantages que son frère et que les frais de scolarité de ce dernier ont remplacé les frais de garde. Elle allègue également que la situation financière de monsieur s’est améliorée.
B. Les arguments de monsieur
Monsieur, quant à lui, plaide que l’inscription de Y à l’école privée s’est faite sans son consentement et que cette dépense n’est pas raisonnable eu égard aux revenus des parties. Cependant, il ne plaide pas que le fait de les inclure dans la pension alimentaire lui causerait des difficultés excessives.
C. Les motifs du juge Dalphond concernant les frais particuliers et auxquels souscrivent les juges Morissette et Herler
Malgré la jurisprudence qui tend à sanctionner le défaut d’un parent de consulter l’autre parent avant d’inscrire un enfant à l’école privée, le juge Dalphond considère l’exclusion totale de ces frais comme une décision un peu radicale… voire même contraire aux meilleurs intérêts de l’enfant. Outre le fait que le parent a pris une décision unilatérale, il faut examiner tous les éléments pertinents incluant, notamment, les besoins de l’enfant, la condition des parents, la ratification tacite subséquente de la décision, le nombre d’années de fréquentation de l’institution, la fratrie, etc. Également, le juge Dalphond ajoute qu’il faut se demander si le parent qui prend une décision unilatérale sans réclamer un montant supplémentaire n’a pas décidé d’assumer seul les conséquences financières de sa décision. Par ailleurs, il ne faut pas refuser d’examiner une réclamation ultérieure quant à ces frais advenant un changement dans la situation financière du parent. Chaque cas est un cas d’espèce et doit être examiné dans le meilleur intérêt de l’enfant.
Le juge Dalphond fait ensuite référence à un jugement prononcé par sa collègue la juge Thibault2, qui rappelle les deux limitations imposées par la loi3 quant aux frais particuliers, soit la capacité de payer des parents et les besoins particuliers de l’enfant.
Dans le cas qui nous occupe, après avoir analysé tous les éléments pertinents, le juge Dalphond en vient à la conclusion que les frais de scolarité de Y doivent être ajoutés à la pension alimentaire et que les deux critères imposés par la loi sont respectés. Le fait que Y fréquente la même école primaire depuis plusieurs années et qu’il progresse bien, que les revenus de monsieur sont similaires et que ce dernier n’a pas plaidé une difficulté excessive et, enfin, que les études primaires de Y achèvent sont tous des éléments retenus par le juge. Ce dernier mentionne également que madame était fondée à demander l’ajout des frais de scolarité de Y étant donné la réduction importante de la pension alimentaire demandée par monsieur.
IV- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
Il s’agit d’un cas flagrant où il était dans le meilleur intérêt de l’enfant d’être maintenu dans le milieu scolaire qu’il fréquente depuis plusieurs années. Au surplus, l’enfant progresse bien et achève son parcours scolaire au primaire.
Cependant, qu’en sera-t-il lorsque l’enfant sera rendu au niveau du secondaire?
Considérant le jugement rendu en appel, nous doutons fort qu’un juge refuse à l’enfant le droit de suivre le même parcours que son frère, à moins que la situation financière du père se détériore. D’ailleurs, il est assez surprenant que ce dernier n’ait pas plaidé la notion de difficultés excessives étant donné qu’il réclamait la baisse de la pension en raison d’une baisse de revenus.
Nous croyons cependant que l’ensemble des éléments militaient en faveur du maintien de l’enfant dans son milieu scolaire, et ce, même si la mère l’y avait inscrit sans le consentement du père. Nous ne croyons pas qu’il s’agisse d’une décision qui accorde le passe-droit à un parent de faire fi de l’autorité parentale et de prendre des décisions de façon unilatérale. Comme le mentionne le juge Dalphond, chaque cas est un cas d’espèce. D’ailleurs, la mère a expliqué les raisons pour lesquelles elle n’avait pas demandé de modification de la pension alimentaire avant la présentation de la demande du père pour tenir compte des frais scolaires.
Par ailleurs, le fait que le père n’exerçait pas ses droits d’accès auprès de ses enfants était, quant à nous, un point qui n’était pas en sa faveur dans l’analyse globale du dossier.
CONCLUSION
Sans cautionner les décisions prises de façon unilatérale par un parent, le juge Dalphond nous rappelle qu’il est primordial d’analyser chaque dossier en fonction du meilleur intérêt de l’enfant.
1. EYB 2010-170804 (C.A.).
2. D. (M.) c. L. (É.), REJB 1999-12615 (C.A.), par. 10.
3. Article 587.1, al. 2 C.c.Q. et art. 9 du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfant, L.R.Q., C-25, r. 1.2.