Résumé
L’auteur analyse la jurisprudence ayant trait au critère de la capacité de communiquer des parents en regard de leurs enfants lors de l’exercice d’une garde partagée.
Introduction
Depuis une quinzaine d’années, nombreuses sont les décisions qui abordent la question de la garde partagée des enfants lors d’une rupture.
En regard des articles du Code civil du Québec et de la Loi de 1985 sur le divorce, certains critères se sont dégagés de la jurisprudence au fil des années, dont celui de la capacité des parents de communiquer.
Suivant l’application de ce critère, plusieurs décisions abordent cette problématique afin de déterminer dans quelle mesure les difficultés de communication entre les parents font obstruction à la mise en place d’une garde partagée ou à la cessation de celle-ci. Bien entendu, les tribunaux examinent toujours la situation en regard du critère de l’intérêt de l’enfant.
I– Législation
L’article 33 du Code civil du Québec édicte :
Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
L’article 16 de la Loi sur le divorce édicte à ses paragraphes (1) et (10) :
16. (1) Ordonnance de garde. Le tribunal compétent peut, sur demande des époux ou de l’un d’eux ou de toute autre personne, rendre une ordonnance relative soit à la garde des enfants à charge ou de l’un d’eux, soit à l’accès auprès de ces enfants, soit aux deux.
(10) Maximum de communication. En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal applique le principe selon lequel l’enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt et, à cette fin, tient compte du fait que la personne pour qui la garde est demandée est disposée ou non à faciliter ce contact.
II– Critères applicables à la garde partagée
Les critères dégagés par la jurisprudence1 concernant la garde partagée d’un enfant sont, entre autres :
– intérêt de l’enfant ;
– stabilité ;
– capacité des parents à communiquer ;
– proximité des résidences ;
– absence de conflits.
En 2011, le juge Fournier de la Cour supérieure rend une décision2 dans laquelle il précise qu’à la lecture de l’article 16(10) de la Loi de 1985 sur le divorce, la garde partagée devient le mode de garde à privilégier lorsque la situation le permet.
Dans la cause G.G. c. J.P. de la Cour d’appel prononcée en 20053, la Cour rappelle que la garde partagée n’est plus exceptionnelle lorsque les parties ont la capacité parentale et que leur projet de vie pour leur enfant est compatible et que l’on peut anticiper une certaine capacité de communication une fois l’arrangement mis en place.
Nous examinerons particulièrement les décisions prononcées concernant le critère de la capacité des parents à communiquer puisque ce critère est souvent au cœur d’un litige dans le cadre d’une demande de garde partagée.
III– Difficultés de communication entre les parents
Qu’en est-il lorsque les parents ont des problèmes de communication ? Est-ce que la garde partagée est quand même possible? Jusqu’à quel point la mauvaise communication peut empêcher l’exercice de la garde partagée d’un enfant?
IV– Jurisprudence en faveur de la garde partagée malgré les problèmes de communication entre les parents
Une décision prononcée en 19994 par le juge Dalphond, siégeant à ce moment à la Cour supérieure, est constamment citée par les tribunaux, lorsqu’il s’agit de déterminer une garde partagée d’un enfant, même s’il existe des difficultés de communication entre les parents, le juge écrit :
De l’avis du tribunal , cela signifie que lorsque la capacité parentale de chacun des parents est bien établie et lorsque ceux-ci sont prêts à consacrer le temps et les ressources requis pour le mieux-être de leurs enfants et qu’il n’y a pas de contre-indications, tels des motifs psychologiques (développement de l’enfant non encore adéquat), géographiques (nécessité de déplacements prolongés), éducatifs (incompatibilité des projets de développement proposés par chacun des parents), de santé (nécessité de continuité de certains soins spécialisés), la garde conjointe doit être envisagée très sérieusement. Le fait que l’un des parents n’y consente pas ou qu’il existe certaines difficultés de communications entre les parents, ne fait pas alors obstacle à ce type de garde.
Trois ans plus tard, le juge Dalphond, siégeant alors à la Cour d’appel, prononce une décision5 où il mentionne entre autres :
39 […] En effet, contrairement à ce qu’affirment certains avocats et même quelques juges aux affaires familiales, il n’existe pas, en vertu de l’article 16 (1) de la loi, une présomption favorable à la garde partagée, même s’il s’agit d’un arrangement qui n’a désormais rien d’exceptionnel et qui doit être considéré sérieusement lorsque la capacité parentale existe chez les deux parents, de même que les autres facteurs requis pour son succès, dont la compatibilité de leur projet de vie pour l’enfant et la présence de bonnes communications entre les parents ou, à tout le moins, une capacité de communication une fois l’arrangement en place. […]
40 […] Toute décision en matière du partage du temps de vie de l’enfant demeure donc un cas d’espèce et aucune forme d’arrangement n’est privilégiée a priori. Saisi d’une telle demande, le juge doit rechercher en fonction de l’ensemble des faits mis en preuve le meilleur arrangement pour l’enfant, alors que ses parents sont incapables de le concevoir malgré l’amour qu’ils lui portent. […]
44 […] Il est vrai que certains commentaires du juge laissent entendre que la difficulté de communication est un obstacle à toute garde partagée alors que la jurisprudence la plus récente est nuancée sur ce sujet. Les juges veulent ainsi éviter d’accorder au parent qui a la garde des enfants un outil puissant, voire même un droit de veto, sur tout changement subséquent en adoptant un comportement dicté par le désir de « préserver » sa position et consistant à rendre difficiles ou impossibles des communications normales entre des parents réellement soucieux du meilleur intérêt de leur enfant. […]
Dans cette décision, le juge Dalphond n’intervient pas dans la décision du juge de première instance étant donné que celui-ci a tenu compte également d’autres critères afin de déterminer les accès du père.
En 2009, dans une décision prononcée par la Cour d’appel6 sous la plume de la juge Bich, cette dernière précise qu’en matière de garde aucune forme d’arrangement n’est privilégiée. Elle réitère les critères dégagés par la jurisprudence concernant la garde partagée.
Quant à la communication, elle considère que malgré le fait que les deux parents s’accusent mutuellement de non-collaboration, ils ont réussi à communiquer au sujet de l’enfant.
Elle décide en faveur de la garde partagée d’un enfant de 23 mois et infirme la décision de première instance.
Le 15 juin 2012, le juge Tôth de la Cour supérieure prononce une décision7 accordant la garde partagée de deux jeunes enfants. Il fait une revue intéressante de la jurisprudence et des critères dégagés concernant l’exercice de la garde partagée. Quant à l’absence de conflit et la capacité des parents de communiquer, il réitère la décision prononcée par la juge Bich de la Cour d’appel8 voulant que les difficultés de communication entre les parties ne fait pas automatiquement obstacle à une garde partagée.
Le 10 octobre 2012, le juge Pierre Ouellet de la Cour supérieure prononce une décision9 où il élargit des droits d’accès afin d’implanter, de façon graduelle, une garde partagée d’une enfant d’âge préscolaire, et ce, malgré des problèmes de communication et de dénigrement et malgré les recommandations formulées dans une expertise psychosociale où le maintien de la garde à la mère est recommandé.
Dans cette décision, le juge Ouellet réitère les principes dégagés par le juge Dalphond en 199910 et fait également référence à la décision prononcée par la juge Bich de la Cour d’appel11.
Dans une autre décision12, le juge Sansfaçon de la Cour supérieure confie aux parties la garde partagée d’un enfant âgé d’un peu plus de trois ans. La mère invoque, entre autres, que la communication avec le père est inexistante.
Le juge mentionne qu’il n’existe pas de présomption favorable à la garde partagée, mais suivant l’article 16(10) de la Loi sur le divorce, le maximum de contacts doit être favorisé avec le parent non gardien. Le juge réitère les critères dégagés par la jurisprudence qui doivent être évalués lorsqu’il s’agit de décider de la garde partagée d’un enfant, et plus particulièrement du critère de la capacité des parents à communiquer. Le juge cite également la décision G.G. c. J.P. de la Cour d’appel13qui mentionne :
4 […] Par ailleurs, la garde partagée n’est plus exceptionnelle et doit être considérée sérieusement lorsque la capacité parentale existe chez les deux parents, que leur projet de vie pour l’enfant est compatible et que l’on peut anticiper une certaine capacité de communication une fois l’arrangement mis en place. […]
Le juge Sansfaçon examine les différents critères et quant à la capacité des parents à communiquer il mentionne :
56 […] Par ailleurs, le Tribunal constate que les parties réussissent à se parler et à communiquer régulièrement. Les difficultés à cet égard ne constituent donc pas un obstacle à l’octroi de la garde partagée.[…]
V– Jurisprudence qui n’est pas en faveur de la garde partagée lors de difficultés de communication entre les parents
Dans une décision unanime rendue en mars 1998, la Cour d’appel14 maintient une décision de la Cour supérieure où le juge a mis fin à la garde partagée en raison de l’hostilité existant encore entre les parties à la suite de leur rupture.
Reprenant les motifs du juge de première instance, les juges mentionnent :
3 […] En raison de l’hostilité qui paraît exister encore entre l’appelant et l’intimée, à la suite de la rupture de leur relation, des difficultés qu’a créées l’intimée dès le prononcé du jugement arrêtant le principe et les modalités d’une garde partagée, de la rigidité et de la crispation des parties dans l’application de chacune de celles-ci, il ressort qu’à l’heure actuelle, ce type de garde ne peut fonctionner adéquatement entre elles et suscite des conflits de nature à nuire à l’enfant. […]
Les juges considèrent que l’intérêt de l’enfant a été sauvegardé et mentionne à cet effet :
5 […] Le rétablissement d’une garde partagée exigera, selon toute apparence, un assainissement du climat d’hostilité qui s’est installé entre les parties et un assouplissement de leur mode de relation. La décision du premier juge semble ainsi avoir été prise conformément à la loi et ne comporter aucune erreur révisable. […]
La même année, dans une autre décision unanime, la Cour d’appel15 infirme une décision de la Cour supérieure ayant accordé au père la garde partagée d’un enfant, malgré de graves problèmes de communication existant entre les parents.
Quant à la capacité des parents de communiquer, faisant référence à différentes décisions, les juges mentionnent :
18 […] De façon générale, pour que la garde partagée puisse être bénéfique aux enfants, non seulement les parents doivent-ils idéalement habiter près l’un de l’autre, mais ils doivent surtout faire preuve d’une certaine capacité de communication. […]
Dans cette affaire, les parties se disputent en présence de l’enfant, ainsi que lors de leurs conversations téléphoniques, il y a même enregistrement d’une partie à l’insu de l’autre, création d’un site Internet où des propos inappropriés y sont mentionnés et recours à l’assistance policière à deux reprises. Suivant ces faits, les juges mentionnent :
19 […] Ces situations conflictuelles remplies d’hostilité ne peuvent que nuire au bien-être de l’enfant ; […]
En 2007, le juge Crête de la Cour supérieure prononce une décision16 dans laquelle il refuse d’accorder la garde partagée des enfants en raison des difficultés de communication des parents. Le juge réitère les critères de la Cour d’appel en matière de garde partagée. Quant à la capacité des parents de communiquer et du critère de l’absence de conflit, le juge mentionne :
29 […] Sur cet aspect de la relation, force est de constater qu’il existe encore entre Mme B. et M. A. de sérieuses lacunes dans leurs communications. Chacun se méfie de l’autre et, malheureusement, M. A traite Mme B avec une agressivité et même parfois avec mépris. Il suffit pour s’en convaincre de lire les lettres et courriels que M. A a envoyés à Mme B et son avocat, Me Maiorino. Si la communication existe de façon minime par voie de courriels, il n’en demeure pas moins que leur ton est loin de promouvoir la cordialité ou même la civilité des rapports entre les deux. Tant le juge Roy que l’expert Lachance et le présent tribunal ont constaté que « la communication entre les parents est toujours difficile ». C’est encore le cas. […]
Quant à l’absence de conflit, le juge précise :
31 […] Tel que nous l’avons évoqué plus haut, les communications entre les deux ex-conjoints sont tendues et acrimonieuse. […]
Un peu plus loin, il ajoute :
33 […] Le constat est cependant incontournable : il n’existe pas de communication suffisante pour envisager une garde partagée et les conflits profonds entre les deux ex-conjoints rendraient une telle garde invivable pour les enfants. […]
La Cour d’appel17 a maintenu le jugement de la Cour supérieure accordant la garde exclusive d’un enfant à la mère alors que les parties exerçaient la garde partagée.
Dans cette cause, les parties se disputent la garde de leur fils depuis près de trois ans, les communications entre elles sont difficiles et l’enfant a été témoin d’une certaine forme de violence entre ses parents lors de l’échange de sa garde.
Le juge Rochette réitère les facteurs devant être pris en compte par le tribunal pour déterminer si la garde alternée peut être envisagée.
Quant à la capacité des parents de communiquer, le juge mentionne :
55 […] Les relations entre les parties déjà houleuses, tendues et difficiles à tous égards depuis leur séparation, sont devenues, à mon avis, encore plus problématiques, voire désastreuses, comme le qualifie d’ailleurs le premier juge, depuis la mise en place de l’alternance de la garde, en octobre 2005. Plus particulièrement, le caractère contrôlant et agressif de l’appelant envenime les échanges et accroît la difficulté de coordonner les efforts dans l’éducation et les soins que requiert l’enfant, tout en entretenant un climat qui ne peut que se répercuter dans l’attitude des parents à l’égard de X. […]
61 […] Il est évident que les parties n’arrivent pas à communiquer adéquatement, ce qui milite en faveur d’une garde exclusive. […]
La juge Bich souscrit à la conclusion du juge Rochette et mentionne :
74 […] Cela dit, il faut souligner que même lorsqu’on ne peut pas parler de violence, la propension plus ou moins grande d’un parent à la colère ou à l’impatience n’est pas une vertue et doit certes être considérée aux fins de la décision portant sur la garde d’un enfant. […]
En 2010, une décision de la Cour d’appel18 est prononcée et maintient la décision de première instance de confier la garde de l’enfant à la mère en raison du climat de violence dont le père est responsable. Les juges mentionnent :
7 […] Quant au climat de violence, le juge y attache une grande importance, violence physique et psychologique durant la vie commune, violence manifestée en présence de X et des autres enfants de l’intimée.
8. Il retient également, du « comportement incessant » de l’appelant, « un irrespect sans réserve » envers l’intimée qui rend « impossible, dans une perspective à long terme, l’œuvre commune d’éducation de X ».
9. On ne saurait reprocher au Juge d’avoir voulu épargner à l’enfant un tel environnement dans les relations interpersonnelles de ses parents. […]
Conclusion
En définitive, s’il y a une communication minimale entre les parents, que les autres critères dégagés par la jurisprudence sont respectés et que la garde partagée satisfait le critère de l’intérêt de l’enfant, les juges sont favorables et n’hésitent pas à instaurer ce mode de garde. Suivant la jurisprudence, ce mode de garde n’est plus exceptionnel.
Par contre, les juges sont plus réticents à accorder une garde partagée quand il y a un climat de violence, du dénigrement et un manque de respect plaçant ainsi l’enfant au cœur du conflit parental.
* Me Jane Grant est avocate au sein du cabinet Simard Boivin Lemieux de Chicoutimi. Elle pratique le droit familial depuis 23 ans.
1 D. (M.J.) c. D. (J.), REJB 1998-08469 (C.A.) ; T.P.G. c. D.M., [2004] R.D.F. 272 (C.A.).
2S.C. c. L.Ch., 2011 QCCS 219, EYB 2011-185464.
3G.G. c. J.P., EYB 2005-86089.
4Droit de la famille – 3237, AZ-99026099.
5L. (T.) c. A.P. (L.), [2002] R.J.Q. 2627.
6V.P. c. C.F., sub nom. Droit de la famille – 091541, 2009 QCCA 1268, EYB 2009160821.
7J.B. c. B. Bo., sub nom. Droit de la famille – 121467, EYB 2012-208304.
8Précitée, note 8.
9T.E. c. Y.L., sub nom. Droit de la famille – 122907, EYB 2012-212903.
10Précitée, note 10.
11Précitée, note 6.
12A.M. c. J.G., sub nom. Droit de la famille – 122678, EYB 2012-212371.
13Précitée, note 3.
14T. (S.) c. F. (M.), REJB 1988-05525.
15D. (M.J.) c. D. (J.), REJB 1998-08469.
16Droit de la famille – 07426, EYB 2007-116207 ; confirmé en appel, EYB 2007-123916.
17F. (D.) c. C.A. (C.), sub nom. Droit de la famille – 072386, EYB 2007-125034.
18L. (R.) c. C. (N.), sub nom. Droit de la famille – 102904, EYB 2010-181538.