RÉSUMÉ
Me Jane Grant commente cette décision de la Cour supérieure dans laquelle la juge Trahan se penche sur l’intérêt des enfants versus le désir d’un père de se voir attribuer des droits d’accès.
INTRODUCTION
Dans Droit de la famille – 073931, la juge Trahan doit décider s’il est dans l’intérêt des enfants d’accorder des droits d’accès à leur père ou si, compte tenu des circonstances, il est préférable qu’aucun droit d’accès ne soit accordé.
I- LES FAITS
Monsieur D. est père de trois enfants issus de deux unions différentes: deux garçons, F.-X., 11 ans et B., neuf ans et dont la mère est Madame P., et une fille, A.-È., sept ans et dont la mère est Madame B. Monsieur D. n’a pas vu ses enfants depuis plusieurs années. Il a été incarcéré pendant quatre ans après avoir été reconnu coupable d’agression sexuelle sur une patiente de l’hôpital où il travaillait. D’ailleurs, un de ses enfants est issu de cette agression.
Monsieur D. veut obtenir des droits d’accès auprès de ses enfants. Les mères s’opposent à sa demande car elles considèrent qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants de voir leur père, et ce, même dans un contexte balisé. D’ailleurs, l’expert mandaté conjointement par les mères est de cet avis. Les dossiers ont été joints et la preuve est commune.
Madame B. n’a pas vécu longtemps avec Monsieur D., car elle a vite compris qu’il avait des problèmes sérieux de personnalité. L’enfant A.-È. ne connaît pas son père, mais elle sait qu’il existe. En 2000, un jugement a accordé au père des droits d’accès supervisés, mais l’enfant n’a pas revu son père depuis janvier 2001.
Madame B. a refait sa vie avec un nouveau conjoint et une enfant est née de cette union. Quant à A.-È., elle va bien et s’est bien intégrée à sa nouvelle cellule familiale.
Après avoir effectué un complément d’expertise psychiatrique, le Dr Louis Morissette, psychiatre, en vient à la conclusion que le fait d’intégrer le père dans la vie de A.-È viendrait perturber l’équilibre stable et sain dans lequel elle se développe. Selon l’expert, il n’y a aucun bénéfice pour elle de voir son père.
Pour ce qui est de Madame P., elle a vécu plus longtemps avec Monsieur D. et elle reste très marquée par cette relation dans laquelle elle a subi de la violence de toutes sortes. Elle a d’ailleurs déjà porté plainte au criminel contre Monsieur D. De plus, F.-X. et B. ont déjà été témoins de gestes de violence envers leur mère. F.-X. ne veut pas voir son père pour l’instant. Quant à B., un enfant hyperactif, il est suivi par un psychiatre. D’ailleurs, son médecin traitant, le Dr Palardy, qui a été entendu, mentionne que des contacts futurs avec le père pourront affecter l’enfant dans son fonctionnement. Selon lui, il est important pour un enfant hyperactif de vivre dans un milieu stable, positif et libre de conflits. D’ailleurs, suivant le Dr Morissette, B. a très peu de souvenirs de son père.
Madame P. a également refait sa vie avec un nouveau conjoint et les enfants se sont très bien adaptés à la nouvelle cellule familiale.
Quant à Monsieur D., il veut revoir ses enfants et il est d’accord pour que ses droits d’accès soient supervisés. Il ne reconnaît cependant pas la violence faite à l’égard des deux mères et ne comprend pas pourquoi ses enfants seraient déstabilisés de le voir.
Tous les rapports déposés lors de l’audition décrivent Monsieur D. comme manquant d’introspection et d’empathie. Il est égocentriste, narcissiste et hédoniste. Monsieur D. voudrait même voir l’enfant né de l’agression pour laquelle il a été incarcéré.
Le Dr Morissette est convaincu que, pour le moment, le fait pour les enfants de voir leur père, même sous supervision, ne leur apporterait rien. Il conclut donc que ce n’est pas dans leur intérêt et qu’il devrait en être ainsi au moins pour les trois prochaines années. De toute façon, les enfants ne manifestent aucunement le désir de voir leur père.
À cause des traits de personnalité de leur père, les enfants ont peu à gagner à le revoir, et ce, même s’il possède les qualités intellectuelles et les connaissances requises pour s’en occuper. Dans les deux familles, les enfants ont déjà une image paternelle de substitution.
De plus, Monsieur D. a tenté de revoir ses enfants malgré les interdictions de la Cour, ce qui démontre qu’il ne respecte pas les conditions imposées par le tribunal. Finalement, l’expert en vient à la conclusion que, même si le père a des droits, lui seul pourrait bénéficier de contacts avec ses enfants. Même l’expert de Monsieur D. est d’accord avec le Dr Morissette pour dire que, si des droits d’accès étaient accordés au père, ils devraient être balisés et contrôlés et devraient se terminer à la moindre dérogation.
II- LA DÉCISION
Monsieur D. doit prouver, par prépondérance de preuve, le bien-fondé de sa demande et c’est à lui de convaincre le tribunal qu’il est dans l’intérêt de ses enfants de le voir. Or, la juge Trahan considère qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve.
L’article 33 du Code civil du Québec doit s’appliquer étant donné que toutes les décisions concernant un enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. La juge cite une décision dans laquelle la juge L’Heureux-Dubé2 passe en revue les articles du Code civil se rapportant à l’intérêt de l’enfant et revoit leur historique. Elle fait même référence à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et, plus particulièrement, aux articles 3 et 7 de celle-ci.
Après avoir examiné la preuve et le droit applicable, la juge Trahan en vient à la conclusion qu’il existe des cas où un contact avec un parent peut être si nuisible pour l’équilibre de l’enfant que le tribunal ne peut permettre à ce parent d’avoir accès auprès de son enfant. D’ailleurs, dans la décision de la juge L’Heureux-Dubé, celle-ci mentionne que l’équilibre psychologique est l’une des composantes de l’intérêt de l’enfant. La juge Trahan conclut donc que, pour le moment, l’intérêt des enfants commande de mettre fin aux droits d’accès du père. Elle précise qu’il s’agit d’un cas où il y a lieu de faire passer l’intérêt des enfants avant celui du père et de faire passer leur stabilité, leur équilibre psychologique, leur bien-être et leur tranquillité d’esprit avant leur droit de connaître leur père.
La juge estime que, s’il devait y avoir des droits d’accès dans l’avenir, ceux-ci devront être initiés par les enfants et non par le père. Elle ordonne cependant aux mères de faire parvenir régulièrement des photos des enfants au père et de le tenir informé de leurs résultats scolaires. Elle fixe également une pension alimentaire pour les enfants en tenant compte du fait que Monsieur D. est père de trois enfants.
III- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
En droit familial, il est rare qu’un parent se voie refuser tout droit d’accès auprès de ses enfants. Nous croyons que la nature des problèmes de Monsieur D. et le fait qu’il soit peu probable que ses traits de personnalité changent ou qu’il respecte l’autorité ont convaincu la juge Trahan de mettre fin à ses droits d’accès.
Cependant, même si la juge laisse une porte ouverte à Monsieur D., il est presque impossible que les enfants manifestent un jour le désir de le revoir. En effet, l’enfant B. a très peu de souvenirs de son père et l’enfant A.È. ne le connaît même pas. Nous savons fort bien que, moins les enfants verront leur père, moins ils ressentiront le besoin et le désir de le revoir un jour. De plus, même si Monsieur D. faisait des efforts pour régler radicalement ses problèmes, il ne pourrait en aviser ses enfants sans contrevenir au jugement commenté étant donné que seuls ces derniers peuvent initier les contacts.
À notre avis, le père doit se résigner et comprendre qu’il ne fera plus partie de la vie de ses enfants. Il n’en fait d’ailleurs plus partie depuis plusieurs années. En conséquence, la juge Trahan a tranché : » Pourquoi prendre la chance de changer une situation gagnante? »
CONCLUSION
Depuis plusieurs années, on remarque l’évolution constante du droit des enfants et la décision commentée est l’exemple parfait de la primauté de l’intérêt de l’enfant sur celui de ses parents.
1 EYB 2007-112482 (C.S.)
2 P. (D.) c. S. (C.) , [1993] 4 R.C.S. 141, EYB 1993-67881