Malheureusement le statut d’actionnaire minoritaire n’est guère confortable au Québec en cas de conflit avec ses coactionnaires.
En effet, contrairement à la législation fédérale, le droit québécois des compagnies, particulièrement la Loi sur les compagnies du Québec n’offre pas la protection générale contenue à l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Certains recours sont tout de même offerts aux actionnaires minoritaires.
Le Code civil du Québec et le Code de procédure civile du Québec
Dans un premier temps, le législateur québécois par le biais de l’article 33 du Code de procédure civile du Québec soumet les « personnes morales de droit privé au Québec », ce qui inclut les compagnies, « au droit de surveillance et de réforme de la Cour supérieure ». De cet article est née l’action dérivée, permettant à un actionnaire d’intenter un recours au nom et dans l’intérêt de la compagnie.
Tel qu’établi dans l’arrêt Lagacé contre Lagacé1 , le demandeur devra démontrer, afin de réussir dans son recours, sa qualité d’actionnaire, le contrôle absolu de la compagnie par les auteurs du préjudice et des irrégularités, le refus d’agir, exprès ou présumé de la part de la compagnie, l’élément frauduleux ou l’équivalent des actes reprochés.
Ce recours, principalement utilisé dans les cas où les personnes fautives contrôlent la compagnie et empêchent celle-ci de réclamer la réparation du dommage ou provoquent une impasse au sein du conseil d’administration et empêchent celui-ci de faire intenter des poursuites par la compagnie, est fort utile aux fins de récupérer certaines sommes au profit de la compagnie, de même qu’à empêcher, par voie d’injonction, que la compagnie ne verse ces sommes.
Un autre recours qui pourrait être invoqué, à titre complémentaire à tout autre recours, par un actionnaire minoritaire à l’encontre d’agissements préjudiciables de la compagnie ou de ses administrateurs, c’est celui qui est basé sur la notion d’abus de droit. Celui-ci n’a pas encore été beaucoup utilisé par les différents plaideurs, mais quelques décisions récentes portent à croire que cette notion d’abus de droit consacrée par l’arrêt de la Cour suprême en 1990 dans l’arrêt Banque Nationale du Canada contre Houle2, sera davantage invoquée dans le cadre d’un litige corporatif.
Si le préjudice causé à l’actionnaire minoritaire provient de l’omission, de la négligence ou du refus de la part de la compagnie ou d’un de ses dirigeants d’accomplir un devoir ou un acte que la loi lui impose, il est possible pour cet actionnaire d’obtenir selon l’article 844 du Code de procédure civile du Québec une ordonnance, communément appelée mandamus, enjoignant à la compagnie ou au dirigeant d’accomplir ce devoir ou cet acte. Ce recours est notamment utilisé dans les cas de convocations d’assemblées d’actionnaires ou d’administrateurs, d’accès aux livres corporatifs, etc.
L’article 316 du Code civil du Québec, permet au tribunal, à la demande de tout intéressé, de tenir les personnes qui ont participé à une fraude à l’égard de la compagnie, ou qui ont profité de cette fraude, responsables solidairement du préjudice subi par la compagnie. Ce recours s’ajoute donc aux autres recours énumérés précédemment et diffère de ceux-ci en ce qu’il est restreint à l’obtention de dommages et ne peut mener à la nullité, à l’interdiction ou à l’inopposabilité des actes visés.
La Loi sur les compagnies
Quelques recours prévus dans la Loi sur les compagnies assurent la protection des actionnaires minoritaires.
En cas de réorganisation des structures financières, l’article 49 de la Loi sur les compagnies prévoit qu’il est possible pour les actionnaires dissidents de convaincre un juge que le changement proposé n’est pas tant dans l’intérêt de la compagnie que dans celui des actionnaires majoritaires et qu’il favorise injustement ceux-ci au détriment des actionnaires minoritaires.
De plus, en vertu de l’article 110 de la Loi sur les compagnies, les actionnaires minoritaires disposent d’un recours préventif : demander à l’Inspecteur général des institutions financières à l’effet de nommer un inspecteur pour examiner les affaires de la compagnie et d’en faire rapport.
En matière de fusion, le législateur québécois assure une certaine protection des actionnaires minoritaires lorsqu’il accorde un vote par catégorie aux actionnaires dont les droits sont spécifiquement affectés par la fusion.
La liquidation judiciaire
Finalement, notons le recours en liquidation judiciaire d’une compagnie prévu à l’article 24 de la Loi sur la liquidation des compagnies. En effet, à la requête d’un actionnaire, la Cour supérieure peut ordonner la liquidation, soit la fin des opérations d’une compagnie en réalisant son actif et en distribuant les fruits de cette réalisation d’abord aux créanciers et ensuite aux actionnaires, selon leurs droits et privilèges. Ce recours, qui s’avère extrême, est dans la majorité des cas futile puisque d’une part, il est difficile de convaincre la Cour de la justesse et de la légitimité de la liquidation et, d’autre part, ce moyen laisse souvent les actionnaires sans argent, les créanciers ayant tout raflé.
Conclusion
Malgré la présence de nombreux recours, le droit corporatif québécois a beaucoup de chemin à faire avant d’offrir une protection aux actionnaires minoritaires telle qu’elle est offerte par la législation fédérale. Cependant, dans le désir d’une protection accrue, on ne doit pas perdre de vue l’intérêt du commerce et des affaires. Les actionnaires minoritaires québécois disposent d’un éventail de recours dont les conséquences peuvent être lourdes. Il est important d’analyser adéquatement chaque situation et de voir à trouver le remède approprié à chaque cas. Le recours au service d’un procureur chevronné est donc largement justifié en pareil cas.
Gilles Boivin, avocat
1 Lagacé c. Lagacé (Réf. [1966] C.S. 489)
2 Banque Nationale du Canada c. Houle (Réf. [1990] 3 R.C.S. 122)