RESUME
Me Jane Grant commente cette décision dans laquelle la Cour du Québec se penche sur les éléments à prouver lors d’un recours en enrichissement injustifié découlant d’une union de fait.
INTRODUCTION
Dans la décision Roy c. Maheu1, les parties mettent fin à leur union de fait après 25 ans. La demanderesse poursuit le défendeur en enrichissement injustifié, celle-ci ayant enrichi la famille alors que son conjoint a investi dans le bien-être de son entreprise. Le juge applique les présomptions découlant d’une union de fait de longue durée, soit la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement, et l’absence de justification. Il en vient à la conclusion que madame a droit à une compensation financière.
I- LES FAITS
Les parties ont fait vie commune pendant plus de 25 ans, soit jusqu’en juillet 2009. Lors de leur rencontre, le défendeur est fonctionnaire, et les parties exploitent chacune un commerce dans le domaine des bijoux. Elles se fréquentent durant environ trois ans et, après avoir décidé de faire vie commune, la demanderesse vend son commerce pour aller vivre avec le défendeur, qui lui fait valoir qu’elle n’aura pas à travailler. À ce moment, les avoirs de la demanderesse totalisent 50 000 $ et ceux du défendeur, 110000 $. Un an plus tard naît leur fille. Même si elle n’a aucun revenu fixe, la demanderesse assume ses dépenses personnelles et plusieurs dépenses pour son enfant. Vivant de son capital, elle doit retourner travailler. Elle fonde alors une entreprise dans le sous-sol de la résidence et rembourse différents frais à l’entreprise du défendeur.
En plus d’investir ses revenus dans la famille, la demanderesse aide et accompagne le défendeur dans son entreprise. Après discussion avec ce dernier, elle retourne sur le marché du travail comme salariée. Elle travaille maintenant comme adjointe à la direction générale d’une institution financière. Le défendeur, quant à la lui, a ouvert son bureau d’avocat et travaille 12 à 13 heures par jour, exploite son commerce et a même ouvert un autre commerce auquel participe la demanderesse. Cette dernière aide également le défendeur au secrétariat de son cabinet, tout en continuant de s’occuper de la maison et de tous les soins de l’enfant, particulièrement son éducation.
En demande reconventionnelle, le défendeur invoque qu’il assumait au bénéfice des parties tous les frais inhérents aux dépenses et au confort du foyer et, au bénéfice de son enfant, plusieurs frais en activités, en pensionnat, en école privée, etc. Il dépose même un état des dépenses qu’il aurait payées pour son enfant de 1985 à 2009, totalisant 48 494,64 $. Il reconnaît cependant une certaine contribution de la demanderesse, qu’il évalue aujourd’hui à 2 000 $, plus un remboursement de points accumulés sur une carte de crédit commune. Il ne reconnaît cependant pas le travail de la demanderesse dans ses entreprises, lequel, selon lui, n’était pas très important.
II- LA DECISION
La demande reconventionnelle du défendeur n’étant pas contestée, le juge Francoeur doit décider si les conditions du recours en enrichissement injustifié sont satisfaites et, si oui, quel montant il doit attribuer à la demanderesse. En premier lieu, il règle la question de la prescription invoquée par le défendeur. Même si ce dernier est parti du domicile quelques mois en 2007, le juge retient que la cessation de la vie commune a eu lieu au mois de juillet 2009 et que le recours n’est pas prescrit, puisqu’il a été entrepris en décembre de la même année.
Quant à l’application du concept de l’enrichissement injustifié entre conjoints de fait, le juge fait référence à deux décisions rendues par la Cour d’appel2. Dans l’une de ces décisions, le juge Dalphond mentionne que l’analyse doit être libérale et globale en tenant compte des éléments suivants :
- un enrichissement ;
- un appauvrissement ;
- une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement ;
- une absence de justification ;
- une absence de fraude à une loi ;
- une absence d’autres recours.
À l’analyse des décisions de la Cour d’appel et de l’arrêt Peter c. Beblow3 de la Cour suprême du Canada, le juge retient que deux présomptions découlent d’une union de fait de longue durée, soit l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement et l’absence de justification à cet enrichissement. Suivant ces éléments dégagés par la jurisprudence, le juge analyse ensuite la preuve qui lui est soumise.
Après 25 ans de vie commune, les avoirs de la demanderesse se composent principalement de REER et d’un régime de retraite, alors que ceux du défendeur s’élèvent à près de 800 000 $, dont 328 000 $ en REER et en régime de retraite. De plus, la demanderesse n’a que 2 000 $ en liquidités alors qu’au début de la vie commune, elle en avait pour 37 000 $. Le défendeur, quant à lui, a augmenté ses liquidités de 75 000 $ en plus d’être propriétaire de plusieurs biens de valeur et de bénéficier d’une augmentation des bénéfices non répartis de son entreprise de plus de 75 000 $. Pour le juge, il ne fait aucun doute que le défendeur s’est enrichi et que la demanderesse s’est appauvrie. De plus, les liquidités que possédait la demanderesse au début de la vie commune ont été utilisées pour la famille, alors que celles du défendeur l’ont été pour le bien-être de son entreprise. Le juge considère que le défendeur n’a pas réussi à repousser la présomption relative à la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement.
Après avoir calculé les revenus respectifs des parties au cours de leur union, le juge en vient à la conclusion qu’ils ont été quasi égaux, et ce, même si la demanderesse a été absente du marché du travail durant trois ans.
Vient par la suite l’élément de l’absence de justification. Pourquoi la demanderesse a-t-elle accepté la situation, en sachant fort bien que le patrimoine du défendeur s’accroissait ? Elle l’aimait et, forte des promesses qu’il lui faisait de prendre soin d’elle et de leur enfant, elle ne s’est pas méfiée. D’ailleurs, cela n’est pas contesté par le défendeur. Le juge en vient à la conclusion qu’il y a eu enrichissement injustifié.
Maintenant, il faut déterminer le montant de la compensation. Comme le reconnaît la jurisprudence, l’approche que doit adopter le juge doit être libérale et globale. Également, il ne s’agit pas de rééquilibrer les actifs des parties, mais bien d’accorder un montant en fonction de l’appauvrissement de la demanderesse et de l’enrichissement du défendeur. La demanderesse réclame 175 000 $, alors que le défendeur lui en offre environ 3 000 $. La demanderesse habite un petit logement semi-meublé et possède un véhicule de l’année 2002. Quant au défendeur, il habite un condominium de luxe et possède une Mercedes et un bateau. Selon la prétention de la demanderesse, elle a consacré de cinq à sept heures par semaine aux entreprises du défendeur sur une période d’environ 20 ans. Le juge lui accorde 125 000 $, ce qui représente environ 25% de la différence des avoirs respectifs des parties.
III- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
Le juge Francoeur réitère que les contributions aux frais d’une maison ne sont pas plus importantes que les autres contributions ayant servi au bien-être de la famille. L’argument du défendeur selon lequel la demanderesse a pu être logée dans une maison spacieuse aux frais de ce dernier n’est plus conforme à la jurisprudence actuelle. Compte tenu de la preuve et de l’approche libérale et globale, le juge Francoeur se devait de rétablir un certain équilibre entre les avoirs des parties. D’ailleurs, il mentionne que l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement de la demanderesse saute aux yeux. Il s’agit d’un jugement d’équité eu égard au fait que les parties ont vécu en union de fait durant une longue période et que les actifs de la demanderesse ont été investis dans la famille, alors que ceux du défendeur ont servi à augmenter son capital. Par ailleurs, considérant la durée de vie commune et le fait que les revenus des parties durant cette période ont été quasi égaux, nous aurions attribué un pourcentage plus élevé que 25 % des avoirs différentiels des parties. Par contre, d’un autre côté, et comme le mentionne le juge Francoeur, les parties sont des personnes autonomes et professionnelles, et il ne s’agit pas, en l’espèce, d’effectuer un partage de patrimoine familial entre gens mariés.
CONCLUSION
La souplesse dans l’analyse de la preuve lors d’un recours en enrichissement injustifié entre conjoints de fait permet au juge d’avoir une latitude plus grande quant à la reconnaissance de cet enrichissement et à la compensation à accorder à celui qui s’est appauvri.
1 EYB 2011-187931 (C.S.).
2 Barrette c. Falardeau, EYB 2010-174365.
3 [1993] 1 R.C.S. 980, p. 1013, EYB 1993-67100 (C.S.C.).