À la fin des années ’60, M. Pierre-Elliot Trudeau accède au pouvoir, déclare que « l’État n’a pas d’affaires dans la chambre à coucher des gens » et fait abolir certaines infractions criminelles relatives à des pratiques sexuelles pouvant avoir lieu entre adultes consentants au nom du respect de la vie privée. Ce même premier ministre, en 1982, préside au rapatriement de la Constitution du Canada dans une version incluant la Charte des droits et libertés. Cette Charte consacre le droit à l’égalité de chaque citoyen devant la loi et prohibe les interventions du législateur ayant pour effet de créer une discrimination. À l’issue du jugement rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire désormais connue comme « Lola c. Éric», c’est ce même droit à l’égalité qui nous ramène dans l’intimité de plusieurs familles québécoises, celles vivant en union de fait. Ironique, non?
Comme juriste, j’ai suivi cette affaire dès qu’elle a été médiatisée. Au-delà du clinquant, j’ai cherché à comprendre la thèse juridique au soutien de la prétention de Lola et je dois admettre avoir trouvé le raisonnement présenté par elle très intéressant. Ma crainte était toutefois qu’une thèse juridiquement valable soit emportée par les aspects jet set et glamour de la vie des parties impliquées. De la lecture de la décision récente de la Cour d’appel, il appert que la juge qui a rédigé les motifs de la majorité a cherché à se concentrer sur les réels enjeux juridiques et sociaux découlant de l’union de fait et de sa rupture. Ma crainte à ce niveau n’était donc pas fondée.
S’il s’agit clairement d’une décision rendue en matière de Charte des droits et libertés, ce jugement risque toutefois d’en amener bien d’autres en matière de droit familial. On verra alors comment le droit à l’égalité atterrira sur « le plancher des vaches », dans des cas concrets opposant des gens ordinaires ayant fait vie commune.
Ce jugement n’est toutefois qu’une demi-révolution, car le droit au partage du patrimoine familial ou du régime matrimonial n’a pas été reconnu aux conjoints de fait. Après tout, il faut bien que le choix de se marier ou de conclure une union civile formelle fasse une différence. Il faut aussi souligner que les conjoints de fait bénéficient d’autres recours, visant l’obtention d’une compensation financière, quand il résulte de l’union et de la rupture que l’un d’entre eux s’est enrichi aux dépens de l’autre. De telles réclamations nécessitent une preuve importante et concordante, et sont loin d’être ouvertes à l’issue de toute rupture.
C’est sur la question alimentaire que le jugement a bouleversé la situation prévalant actuellement. Il dispose que l’article du Code civil du Québec prévoyant que les époux et les conjoints unis civilement par contrat se doivent des aliments est discriminatoire à l’endroit des conjoints de fait, et que la loi crée donc une inégalité de traitement à leur égard. La Cour donne toutefois un délai de douze mois au gouvernement afin de faire en sorte que la loi pallie cette situation. Quel beau problème!…
En tenant pour acquis qu’il n’y aurait pas d’appel à la Cour suprême, ou que tel appel mènerait au même résultat, je suis curieux de voir à quelle solution le législateur en arrivera. Plusieurs sont non seulement curieux mais aussi inquiets, car ils font partie de ceux à qui ces nouvelles règles pourront s’appliquer. Les deux, ou du moins l’un d’entre eux, ont choisi l’union de fait vu l’absence de règles telles celles qui sont applicables au mariage. C’est un choix, ou à tout le moins une situation, qui résultait en une réponse claire, soit l’absence de recours alimentaire. Mais, à l’issue de ce jugement, les choses ne pourront demeurer si simples.
S’il n’est plus question du mariage comme condition préalable à l’ouverture du droit aux aliments, d’autres critères devront être utilisés. Et ce sont donc les choix, et les conséquences des choix, faits lors de la vie commune qui risquent d’être examinés. Le quotidien d’un couple est peuplé d’une multitude de choix tels celui d’habiter ensemble, celui de fonder une famille, celui de laisser une carrière, celui d’augmenter le niveau de vie de son conjoint par le biais de voyages et de biens de luxe, celui de prendre une préretraite hâtive, et le choix d’accepter les choix de l’autre expressément ou tacitement. Il faudra analyser la situation à travers plusieurs faits qui démontreront si une situation de dépendance financière s’est créée ou non, et la manière avec laquelle elle doit être résolue en fonction des besoins du créancier et des moyens du débiteur (c’est vrai que ça commence à ressembler à un divorce!). On est loin d’être sorti de l’auberge…
La possibilité pour un couple de prendre des décisions communes prévoyant le règlement de la question des biens et des droits de chacun à l’issue d’une rupture devrait aussi être respectée. Il est possible pendant la vie commune, dans les autres provinces, de renoncer mutuellement à l’obligation alimentaire entre conjoints en cas de rupture. Telle possibilité devrait être offerte aux Québécois qui vivent en union de fait. Il s’agirait là d’un bon moyen de valoriser le contrat de vie commune comme outil juridique et la responsabilisation des conjoints vivant en union de fait.
L’enjeu serait donc de permettre aux couples de faire des choix et de pouvoir en déterminer les conséquences. Ou encore de leur indiquer quelles peuvent être les conséquences de ne pas faire de choix. Bref, une question de choix et de conséquences.
Si la plupart des personnes payant des pensions alimentaires actuellement sont des hommes, il n’en sera vraisemblablement pas toujours ainsi. En effet, les filles se scolarisent plus que les garçons, et il est fort probable qu’elles auront de meilleurs revenus que leurs conjoints. Les rôles parentaux ont aussi connu une évolution importante. Les mères risquent fort de devenir des débitrices alimentaires, car ce qui est bon pour » minou » doit aussi être bon pour » pitou « , après tout.
Patrice Gobeil, avocat