Il arrive fréquemment que les actionnaires d’une compagnie se portent caution des dettes de leur entreprise. Lorsque la situation financière de la compagnie est plutôt fragile, il n’est pas rare que les banques exigent même des garanties sur le cautionnement, comme une hypothèque immobilière sur la résidence d’un actionnaire.
Dans une récente affaire portée devant la Cour du Québec (BLC c. Bono1), la Banque Laurentienne du Canada réclamait solidairement 50 000 $ aux trois actionnaires d’une compagnie, en vertu d’un acte de cautionnement qu’ils avaient signé. Au moment où l’entreprise se dirigeait vers une situation d’insolvabilité, l’un des actionnaires de la compagnie avait remis un chèque personnel à la Banque portant la mention spécifique selon laquelle il devait servir à réduire son cautionnement personnel. Le chèque fut toutefois déposé dans le compte de la débitrice principale pour réduire son endettement. La compagnie a par la suite fait faillite; la Banque réclame des cautions la totalité de leur cautionnement, sans réduire la somme payée par l’une d’elles avant la faillite.
Le principe général veut que l’encaissement d’un chèque portant une mention libératoire ou une réserve entraîne l’acceptation tacite par le créancier qui dépose le chèque, des conditions qui y sont précisées. D’ailleurs, les tribunaux considèrent que l’acceptation tacite par le créancier d’un chèque certifié portant la mention « paiement final » libère le débiteur de sa dette. Il s’agit toutefois d’une présomption simple, qui peut être renversée par la preuve d’une entente contraire verbale ou écrite entre les parties.
Dans le cas discuté, la preuve ne révéla pas que l’encaissement du chèque par la Banque et son dépôt dans le compte de la compagnie résultait d’une entente avec la caution. Le juge a donc analysé le litige à la lumière des règles de la responsabilité civile afin de déterminer si la Banque avait commis une faute en utilisant le chèque pour réduire les dettes de la compagnie alors qu’il portait une mention particulière à l’effet contraire.
Dans ces circonstances, la Cour a conclu qu’un banquier prudent et diligent aurait noté les particularités du chèque et aurait déduit que les instructions du tireur n’étaient pas de le déposer au compte de la compagnie au bénéfice de tous les créanciers. Non seulement la mention manuscrite était parfaitement lisible et ne portait à aucune interprétation, mais le chèque était fait à l’ordre de la Banque et non de la débitrice principale. Dans le doute, la Banque aurait dû communiquer avec la caution pour clarifier la situation et l’informer qu’elle refusait de réduire son obligation, ce qu’elle n’a pas fait.
La Banque a ainsi commis une faute qui, sans être abusive, entraîne tout de même sa responsabilité. Le préjudice subi par la caution est bien réel. L’endosseur a perdu la somme de 50 000 $ qui aurait dû être imputée à réduire son cautionnement personnel plutôt qu’au paiement des dettes de la compagnie.
Par conséquent, le tribunal a rejeté le recours sur cautionnement exercé par la Banque et a libéré les cautions de leurs obligations découlant des actes de cautionnement signés.
Ainsi, en affaires, mieux vaut que les ententes entre les parties soient claires. À défaut, une mention écrite sera toujours prépondérante par rapport à une discussion verbale. Chacun sait que les paroles s’envolent, mais que les écrits restent!
Marie-Claude Gagnon, avocate
en collaboration avec Élise Cloutier, avocate
1 Banque Laurentienne du Canada c. Bono, EYB 2011 189 299