Depuis 1973, les entreprises qui désirent financer l’acquisition, entre autres choses, d’un nouvel équipement, disposent d’un outil particulièrement intéressant. Il s’agit du crédit-bail, et c’est précisément cette année-là que le législateur québécois a modifié le Code civil pour en déterminer les paramètres.
Cette formule de financement offre plusieurs avantages à l’entreprise qui s’en prévaut non seulement sur le plan des affaires, mais également sur le plan du droit. Pour bien en mesurer l’importance, il convient d’abord de distinguer le crédit-bail des autres formes de contrats qui ont également cours dans le marché, comme la vente à tempérament et la location pure et simple.
L’article 1744 du Code civil du Québec définit la vente à tempérament comme étant « une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente ». C’est donc dire que le transfert de propriété s’opérera automatiquement en faveur de l’acquéreur dès que celui-ci aura exécuté son obligation de paiement.
La vente à tempérament a toutefois ceci de particulier : c’est sur l’acheteur que porteront les risques de perte du bien pendant la durée du contrat, à moins de stipulation contraire ou d’un contrat de consommation.
Le contrat de location, quant à lui, n’a évidemment pas pour but de transférer le droit de propriété au locataire, bien que celui-ci, tout comme dans le cas de la vente à tempérament et celui du crédit-bail, ait le droit de jouir du bien loué en toute tranquillité.
Par rapport à ces deux formes de contrats, le contrat de crédit-bail présente de nombreuses particularités dont les principales sont les suivantes :
- il s’agit d’un contrat par lequel une personne, le crédit-bailleur, met un meuble à la disposition d’une autre personne, le crédit-preneur, pendant une période de temps déterminée et moyennant une contrepartie;
- le bien qui fait l’objet du crédit-bail est acquis d’un tiers par le crédit-bailleur, à la demande du crédit-preneur et conformément aux instructions de ce dernier;
- le crédit-bail ne peut être consenti qu’à des fins d’entreprise (par opposition aux fins de consommation);
- le vendeur du bien est directement tenu envers le crédit-preneur des garanties légales et conventionnelles inhérentes au contrat de vente;
- le crédit-preneur assume, à compter du moment où il en prend possession, tous les risques de perte du bien, même par force majeure;
- le crédit-preneur assume les frais d’entretien et de réparation du bien loué.
En pratique, les choses se passent comme suit :
- le crédit-preneur se présente chez le distributeur du produit et définit avec lui les caractéristiques de ce bien de même que le prix d’achat que paiera le crédit-bailleur (le financier);
- le financier, qui est soit un banquier ou une société de crédit apparentée au fabricant du produit, est en même temps sollicité pour conclure le contrat de crédit-bail dont les termes et les conditions sont alors aussi définis;
- le financier (crédit-bailleur) procède à l’achat du bien au prix convenu entre le crédit-preneur et le tiers vendeur (distributeur) en stipulant, tel que la loi le requiert, que cet achat est effectué en vue de la conclusion du contrat de crédit-bail,
- le contrat de crédit-bail intervient entre le crédit-preneur et le crédit-bailleur, contrat par lequel ce dernier cède au crédit-preneur tous ses droits aux garanties sur le bien ainsi transigé.
Lorsque le crédit-bailleur (le financier) fait l’acquisition du bien chez un distributeur, il serait normalement et surtout légalement en droit de s’attendre à obtenir de ce fait les mêmes garanties que n’importe quel autre acquéreur. Or, et c’est la grande particularité du contrat de crédit-bail, tel n’est pas le cas ici : il y a un déplacement très net de ce droit en faveur du locataire (crédit-preneur), de sorte qu’advenant, par exemple, un bris de la machine imputable à sa conception, le locataire ne pourra s’adresser directement au locateur (crédit-bailleur). Il devra plutôt le faire à l’endroit du vendeur-distributeur (le tiers), voire contre le fabricant, et ce, même s’il n’a pas signé un contrat d’achat avec ces derniers.
L’inconvénient majeur qui subsiste, à notre avis, au chapitre du recours contre le vendeur-distributeur et le fabricant provient du fait que le crédit-preneur (le locataire) doit continuer de payer le crédit-bailleur (le financier) nonobstant les procédures engagées puisqu’il n’y a aucun lien de droit entre eux au chapitre des garanties, celles-ci ayant fait l’objet d’un cession au contrat de crédit-bail. Bien plus, le distributeur-vendeur sait, au moment où il vend le bien au financier (crédit-bailleur), que le crédit-preneur obtiendra cession des droits aux garanties.
Vous aurez sans doute remarqué que nous utilisons aussi l’expression « locataire » dans le présent texte pour désigner le « crédit-preneur ». Nous le faisons précisément pour démontrer que, contrairement à une certaine croyance qui semble être bien ancrée autant chez les initiés que les non-initiés au crédit-bail, nous sommes bel et bien juridiquement en présence d’une location qui se termine à la date prévue au bail et que, de ce fait, la propriété du bien n’est pas transférée automatiquement au preneur.
L’article 1850 du Code civil du Québec stipule en effet clairement que : « lorsque le contrat de crédit-bail prend fin, le crédit-preneur est tenu de rendre le bien au crédit-bailleur, à moins qu’il ne se soit prévalu, le cas échéant, de la faculté que lui réserve le contrat de l’acquéreur ».
Bien que nous reconnaissions que « la faculté d’acquisition » soit pratiquement chose courante dans ce genre de contrat (ex. : la somme nominale de 1 $), il n’en demeure pas moins qu’il soit possible d’utiliser les avantages du crédit-bail sans pour autant viser l’acquisition du bien. Le prix de location du crédit serait alors ajusté en conséquence.
Nous recommandons donc au crédit-preneur d’user de prudence et de diligence dans la conclusion d’un éventuel contrat de crédit-bail et de s’assurer que ce contrat prévoit pour lui la faculté d’acquérir le bien, faute de quoi il pourrait avoir une fort mauvaise surprise quelques années plus tard… Et comme le crédit-preneur sera responsable de la perte du bien, même par force majeure, pendant la durée du contrat, il devra porter une attention particulière au contrat d’assurance.
Serge Simard, avocat