Jane Grant

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Source : Les Éditions Yvon Blais

Spécialités

Droit des personnes et de la famille,

3 octobre 2012

LES JUGEMENTS INTERLOCUTOIRES PRONONCÉS DANS LE CADRE D’UNE INSTANCE EN DIVORCE : APPEL DE PLEIN DROIT OU SUR PERMISSION

RÉSUMÉ

Me Grant commente cette décision dans laquelle la Cour d’appel devait décider si l’appel d’un jugement interlocutoire prononcé dans le cadre d’une instance en divorce peut être fait de plein droit, par voie d’inscription, ou par permission préalable, par voie de requête.

INTRODUCTION

Dans la décision M. (L.) c. G. (D.), sub nom. Droit de la famille – 1217181, madame, par voie d’inscription, porte en appel un jugement prononcé par la Cour supérieure relativement à des objections formulées lors d’interrogatoires préliminaires. De son propre chef, la Cour s’interroge à savoir si l’appel a été régulièrement formé puisqu’il s’agit d’un jugement interlocutoire. À l’examen de la jurisprudence, la Cour conclut que les jugements interlocutoires prononcés dans le cadre d’une instance en divorce sont appelables sur permission.


I- LES FAITS

En décembre 2010, madame fait signifier une requête introductive d’instance en divorce par laquelle elle réclame une pension alimentaire, une somme globale ainsi qu’une prestation compensatoire, mais en n’indiquant aucun montant quant à ces demandes. En mars 2011, lors d’un interrogatoire relatif à l’état des revenus, dépenses et actifs de monsieur, diverses objections sont formulées par l’avocat de ce dernier à la suite des questions posées par l’avocate de madame qui, selon lui, sont pour la plupart non pertinentes. De plus, les états financiers de la société de l’intimé font l’objet d’un partenariat public-privé et seraient confidentiels, d’où l’intervention de la mise en cause.

En mai 2011, dans le cadre d’un interrogatoire avant défense et sur affidavit de madame, l’avocat de monsieur lui demande le montant qu’elle estime nécessaire à son autonomie, ce à quoi l’avocate de madame s’oppose. En août 2011, les objections formulées par chacun des avocats lors des interrogatoires sont soumises au juge de première instance, qui accueille les objections formulées par l’avocat de monsieur et rejette l’objection de madame.

II- LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

Le juge accueille les objections formulées par l’avocat de monsieur. Il considère que ce dernier a répondu à la question quant à la valeur des actions de sa société, qu’il n’est pas pertinent de connaître le salaire de ses collaborateurs, ni d’obtenir ses relevés bancaires depuis 2005 et d’obtenir toutes les informations concernant ses entreprises vendues durant la vie commune. Quant à la demande d’obtenir les états financiers, il considère cette demande comme prématurée compte tenu de l’état du litige. Quant à l’objection formulée par l’avocate de madame, le juge la rejette. La question est en effet pertinente étant donné que celle-ci n’a aucunement quantifié ses demandes.

Durant cette même audition, le juge prononce trois autres jugements sur d’autres aspects et scinde l’instance en divorce de façon à ce qu’il soit statué, dans un premier temps, sur la validité d’une renonciation des parties au patrimoine familial et d’une modification du régime matrimonial (lesquelles ont été reconnues valides dans un jugement prononcé en mai 2012). Il refuse d’octroyer une provision pour frais à madame et rejette la requête de monsieur en radiation de certaines allégations de la requête introductive d’instance. Au départ, madame se pourvoit contre trois des jugements, mais finalement, seule la question des objections demeure à trancher par la Cour d’appel.


III- LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL

De son propre chef et préalablement à l’audience, la Cour soulève la question de savoir si l’appel a été régulièrement formé et demande aux avocats de répondre à la question suivante :  » Les jugements interlocutoires prononcés dans le cadre d’une instance en divorce sont-ils appelables de plein droit ou sur permission ?  »

Quant à cette question, madame invoque deux décisions de la Cour d’appel2 et estime que, bien qu’il s’agisse d’un jugement interlocutoire, celui-ci est appelable de plein droit puisqu’il a été prononcé dans le cadre de l’instance en divorce. De son côté, l’avocat de monsieur se fonde sur deux arrêts de la Cour d’appel3  prononcés ultérieurement et invoque que, puisqu’il s’agit d’un jugement interlocutoire, l’appel est assujetti aux articles 29 et 511 C.p.c. et doit donc être autorisé préalablement.

La Cour analyse les deux courants jurisprudentiels qui existent en la matière en droit québécois. Suivant l’arrêt Droit de la famille – 203 prononcé en 19854, tous les jugements interlocutoires prononcés dans le cadre d’une instance en divorce sont appelables de plein droit, ce qui simplifie le processus procédural. Dans le second courant, le juge Dalphond5 considère qu’il faut obtenir une autorisation préalable afin de porter en appel un jugement interlocutoire rendu dans cette même instance. Le paragraphe 21(1) de la Loi sur le divorce6 édicte que :  » Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les jugements ou ordonnances rendus par un tribunal en application de la présente loi, qu’ils soient définitifs ou provisoires, sont susceptibles d’appel devant une cour d’appel « . Comme l’indiquent les mots  » rendus par un tribunal en application de la présente loi « , ce n’est pas le fait que le jugement soit interlocutoire ou final qui est le critère, mais la source législative du pouvoir à la base de l’ordonnance. Ce point de vue est confirmé dans l’arrêt Droit de la famille – 0922067.

Par ailleurs, un troisième courant semble ressortir d’une décision prononcée par la Cour d’appel de l’Ontario8 qui, selon la Cour d’appel, est applicable en droit québécois. L’arrêtElgner, sous la plume de la juge Gillese, conclut qu’à la lecture combinée du paragraphe 21(1) et de l’article 25 LD,  les jugements prononcés en vertu de cette loi sont appelables selon les règles prévues par le droit provincial. Donc, suivant l’article 19 (1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires9, pour porter un jugement interlocutoire en appel, une permission est requise. En droit québécois, ce sont les articles 29 et 511 C.p.c. qui régissent l’appel de ces jugements.

De l’avis de la Cour, le texte et l’esprit des paragraphes 21(1) et (6) LD imposent une telle conclusion et sont conformes à la philosophie sous-jacente à la Loi, soit privilégier la rapidité des instances de divorce et éviter des débats et des coûts qui peuvent se révéler inutiles.

Par contre, la Cour précise que cette conclusion ne va pas à l’encontre de l’affaire Droit de la famille – 20310. Cette dernière était jugée en vertu de l’article 17 de l’ancienne Loi sur le divorce, auquel ne correspond pas tout à fait le paragraphe 21(6) de la loi actuelle. Au surplus, à son paragraphe (3), cet article prévoyait que l’appel se faisait par voie d’ » avis d’appel « , donc le juge Lebel ne pouvait conclure autrement à cette époque.

La Cour précise qu’en adoptant la nouvelle loi en 1985, avec son paragraphe 21(6), le Parlement a légiféré en toute connaissance de cause en décidant d’assujettir les appels prévus par le paragraphe 21(1) LD à  » la procédure habituelle applicable aux appels interjetés devant la cour d’appel  » .  Donc, en vertu des paragraphes 21(1) et (6) LD, tout appel en vertu de cette loi est assujetti aux règles de la loi provinciale, en l’occurrence les articles 29 et 511 C.p.c.

La Cour en vient donc à la conclusion que l’appel est irrégulièrement formé. Pour le reste, elle examine tout de même le fond de l’appel et estime que madame n’a démontré aucun motif de réformation du jugement de première instance. Elle considère que le juge de première instance a eu raison de rejeter l’objection de l’avocat de madame et que la question posée par l’avocat de monsieur était pertinente et aurait permis de préciser ce que madame entendait réclamer.

IV-  LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

La décision commentée vient déterminer qu’en droit québécois, il faut une autorisation préalable pour porter un jugement interlocutoire en appel dans le cadre d’une instance en divorce. Suivant les propos de la Cour, le texte et l’esprit des paragraphes (1) et (6) LD font qu’on ne peut en venir à une autre conclusion. La Cour mentionne également que cette interprétation est conforme à la philosophie de la Loi, qui est à l’effet d’accélérer le processus des instances de divorce et d’éviter des débats et des frais inutiles. Il est surprenant qu’en 1985, cette même Cour, sous la plume du juge Lebel, prononçait une décision à l’effet contraire en mentionnant que l’appel de plein droit simplifiait le processus procédural…  Peut-être que cette façon de faire peut permettre d’éviter de présenter une requête pour permission préalable, mais est-ce là vraiment une économie de temps et d’argent ?

Nous croyons que le but recherché d’éviter des frais et des débats inutiles milite en faveur qu’il faille une permission préalable pour interjeter appel d’un jugement interlocutoire en matière de divorce.  Il est plus facile d’engager des frais et d’aller en appel lorsque celui-ci est de plein droit. Le fait de devoir demander une permission dans le cadre de jugements interlocutoires permettra sûrement d’éviter des procédures inutiles et favorisera l’avancement des dossiers en droit familial.

CONCLUSION

Il est rassurant de constater que les tribunaux tentent de minimiser le processus judiciaire et d’éviter aux parties des débats et des frais inutiles qui ne font qu’alourdir les dossiers en droit familial.

 


1  EYB 2012-208584 (C.A.).
2  Droit de la famille – 203, [1985] C.A. 339, EYB 1985-146111 ; Droit de la famille – 572, [1989] R.J.Q. 22 (C.A.), EYB 1988-63114.
3  Srougi c. Lufthansa German Airlines, [2003] R.J.Q. 53 (C.A.), REJB 2002-36430 ; M. (G.) v. B. (M.), sub nom. Droit de la famille – 092206, 2009 QCCA 1761, EYB 2009-163804.
4  Précité, note 2.
5  M. (G.) v. L. (F.), sub nom. Droit de la famille – 09771, 2009 QCCA 649, EYB 2009-157090.
6  L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.).
7  Précité, note 3.
8  2011 ONCA 483, 105 O.R. (3d) 721.
9  R.S.O., 1990, ch. C.43/L.R.O. 1990, c. C.43.
10  Précitée, note 2.

© Simard Boivin Lemieux, 2014. Tous droits réservés.

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