Le vendeur d’un immeuble a-t-il l’obligation de divulguer aux acheteurs potentiels qu’un suicide ou une mort violente y est survenue? La Cour supérieure s’est récemment penchée sur la question et y a répondu par l’affirmative, dans un jugement du 21 novembre 2013 sous la plume du juge Robert Dufresne.
Dans l’affaire Fortin c. Mercier1, les demandeurs, un couple dans la vingtaine, se portent acquéreurs d’une résidence sans savoir que deux personnes y ont connu une mort violente à la suite d’un pacte de suicide. Ce n’est que quelques jours après l’acquisition de l’immeuble qu’ils apprennent le drame par un de leurs voisins. Ils n’habiteront finalement jamais la maison et intentent une poursuite contre le vendeur, soumettant qu’ils n’auraient jamais acquis la résidence s’ils avaient connu ces faits. Ils demandent l’annulation de la vente, le remboursement du prix d’achat, ainsi que quelque 50 000 $ en déboursés, frais d’entretien, dommages moraux et dommages punitifs.
Pour sa part, le défendeur prétend qu’il n’avait pas à déclarer ces événements puisque les demandeurs ne lui ont posé aucune question à ce sujet et qu’il ne pouvait pas savoir qu’ils étaient aussi sensibles à ce genre d’information. Il avait lui-même acquis l’immeuble de la succession et l’avait entièrement rénové, avant de le remettre en vente.
Le défendeur avait d’ailleurs refusé que la courtière immobilière dont il avait retenu les services divulgue l’information aux acheteurs potentiels, ce qui avait mis fin au mandat de courtage. Par la suite, le défendeur a fait affaire avec un autre courtier, mais il a déclaré que le suicide était survenu dans le garage, ce qui a refroidi la plupart des acheteurs. Aucune vente n’étant survenue durant le mandat, le défendeur décide de remettre sa maison en vente par le biais de la bannière Duproprio.
Lorsque les demandeurs s’intéressent à l’immeuble, en aucun temps le défendeur ne les informe des tragiques événements. En réponse à leurs questions sur le long délai écoulé depuis la mise en vente, il allègue un ralentissement du marché immobilier et la piètre qualité des services de ses courtiers. Les demandeurs avaient également interrogé le défendeur au sujet du document « Déclaration du vendeur sur l’immeuble » et ce dernier leur avait faussement affirmé que ledit document n’existe pas avec la bannière Duproprio.
Dans son jugement, la Cour supérieure affirme que le défendeur aurait dû dévoiler le double suicide aux acheteurs afin que leur consentement soit libre et éclairé, puisqu’il s’agit d’un fait susceptible d’influencer objectivement une transaction immobilière. D’ailleurs, la question au formulaire « Déclaration du vendeur » qui porte sur l’existence de suicide ou de mort violente est devenue obligatoire dans le domaine du courtage depuis 2012.
Il n’est pas question dans le présent dossier d’un recours fondé sur la présence d’un vice caché. L’immeuble en question est exempt de vice, c’est plutôt le consentement des acheteurs qui a été vicié. Les demandeurs n’auraient jamais acheté l’immeuble s’ils avaient été informés des événements. En outre, le Tribunal s’appuie sur les dispositions du Code civil du Québec, qui prévoient que la bonne foi doit toujours gouverner la conduite des parties.
Pour ces motifs, le Tribunal prononce la nullité de la vente intervenue entre les parties et condamne le défendeur à rembourser aux demandeurs le prix d’achat de 275 000 $ ainsi qu’à leur payer des déboursés et des dommages totalisant un montant de 38 025,60 $.
Élise Cloutier, avocate
1Fortin c. Mercier, 21 novembre 2013, Cour supérieure, EYB-2013-229823