RÉSUMÉ
Me Jane Grant commente cette décision de la Cour supérieure portant sur l’utilisation de l’habeas corpus en matière familiale.
INTRODUCTION
L’article 851 du Code de procédure civile se lit comme suit :
Toute personne qui est emprisonnée ou autrement privée de sa liberté, si ce n’est pas en vertu d’une ordonnance rendue en matière civile par un tribunal ou par un juge compétent, ni pour une matière criminelle ou supposée telle, peut, de même qu’un tiers pour elle, s’adresser à un juge de la Cour supérieure pour obtenir un bref d’habeas corpus ordonnant à celui sous la garde de qui elle est détenue de la conduire sans délai devant un juge de la Cour et de lui rapporter la cause de la détention, pour qu’il voie si elle est justifiée.
La demande est faite par requête appuyée d’un affidavit établissant la vérité des faits sur lesquels elle est fondée.
L’habeas corpus est une mesure exceptionnelle utilisée lorsqu’une personne en détient une autre illégalement. D’ailleurs, l’article 851 C.p.c. se trouve sous le titre VI du Code de procédure civile, soit celui traitant de certains recours extraordinaires.
En matière familiale, cette requête peut être déposée lorsqu’un parent garde illégalement un enfant en contravention avec un jugement. Récemment, la juge Lise Matteau de la Cour supérieure a été appelée à se prononcer relativement à une demande d’habeas corpus présentée par la mère d’un enfant. Elle a alors rappelé l’importance de respecter les ordonnances de cour. Il s’agit de la décision L. (P.) c. B. (L.), sub nom. Droit de la famille – 098341.
I- LES FAITS
Dans cette affaire, les parties sont divorcées depuis plus de trois ans. Le jugement de divorce entérine une convention sur mesures accessoires prévoyant que les parents exercent la garde partagée de leur enfant X.
Le débat quant à la demande d’habeas corpus lancé par la mère origine du fait qu’alors qu’elle devait commencer sa semaine de garde, elle constate l’absence de son enfant au service de garde de l’école. Le même jour, soit le 27 février 2009, elle reçoit signification d’une requête du père en modification des mesures accessoires présentable le 18 mars 2009.
Dans sa requête, le père demande la garde exclusive de l’enfant et le prononcé d’une ordonnance de sauvegarde en invoquant l’urgence de la situation.
Le 4 mars suivant, la procureure de la mère signifie à la procureure du père une mise en demeure exigeant le retour de l’enfant au domicile de la mère. Le père ne donne pas suite à cette demande et, le même jour, la mère obtient l’émission d’un bref d’habeas corpus ordonnant au père de se présenter devant la Cour le 10 mars 2009 accompagné de l’enfant X afin de faire valoir les raisons pour lesquelles il détient son enfant et de permettre au juge de décider si cette situation est légalement justifiée.
II- LA DÉCISION
Lors de l’audition de la cause, le père tente d’introduire en preuve le rapport d’une travailleuse sociale ayant été transmis la veille à l’autre partie. En raison d’une objection formulée par la procureure de la mère, ce rapport ne peut être produit pour valoir comme témoignage. D’ailleurs, la mère n’avait même pas été avisée de cette rencontre avec la travailleuse sociale et n’a pu, en conséquence, donner sa version.
La juge Matteau rappelle aux parties que la décision qu’elle doit rendre n’est pas une décision concernant la garde de l’enfant. Elle doit seulement décider si le père est bien fondé à garder l’enfant malgré le jugement rendu le 30 novembre 2005. Elle relate donc les faits ayant donné lieu au présent débat, faits dont il est fait mention aux procédures.
Il s’agit principalement d’un conflit entre les parents qui a dégénéré lors de l’échange de l’enfant au domicile de la mère. Par ailleurs, en aucun temps la mère n’a manifesté de la colère ou de la violence à l’endroit de son enfant.
La juge s’interroge sur la notion d’urgence alléguée dans la requête du père, alors que la présentation de celle-ci n’est prévue que dans trois semaines plus tard. Le critère d’urgence revêt ici toute son importance puisque que le père contrevient à une ordonnance de la Cour.
La juge Matteau reprend les propos du juge Pierre Gagnon de la Cour supérieure dans une décision2 rendue concernant une situation similaire quant au critère d’urgence :
Ce mot paraît galvaudé. Il est facile de brandir ce mot comme si, magiquement, les règles de droit applicables en matière de protection d’un enfant seraient mises en veilleuse […].
D’ailleurs, la Cour d’appel3 a refusé d’intervenir dans ce même dossier. Voici comment les juges se sont exprimés :
Il s’agit d’un cas où la Cour doit décourager une situation où le parent non gardien désire se faire justice à lui-même, plus particulièrement alors qu’il lui est loisible de présenter à la Cour supérieure une demande intérimaire à ce sujet ;
Dans cette cause, seule une requête pour changement de garde était pendante et aucune demande d’ordonnance de sauvegarde n’avait été formulée quant à l’urgence d’intervenir avant la date de présentation de la requête. Il s’agissait d’un cas où l’enfant était au milieu du conflit opposant ses parents et où aucun fait ne permettait au père de contrevenir à une ordonnance de la Cour. Le juge Gagnon a même qualifié cette situation de mépris pour l’intérêt véritable de l’enfant à court terme et lui a désigné un avocat en s’autorisant de l’article 394.1 C.p.c.
La juge Matteau rappelle qu’il aurait été possible pour le père de présenter une ordonnance de sauvegarde dans de meilleurs délais alors qu’il contrevient à un jugement. Elle constate qu’il s’agit là d’une situation très grave de défi par le père de l’autorité de la Cour. En conséquence, elle ordonne le retour de l’enfant au domicile de sa mère et le respect des modalités de garde du jugement prononcé le 30 novembre 2005.
III – LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE
Nous pouvons constater que la notion d’urgence invoquée au soutien de procédures doit être une situation d’urgence réelle et doit être soumise au tribunal dans les meilleurs délais.
Il est assez surprenant, dans la décision commentée, que la date de présentation de la requête soit si éloignée alors qu’une situation d’urgence est invoquée. À tout le moins, une ordonnance de sauvegarde aurait sûrement pu être présentée au même moment que la demande d’habeas corpus. Cela aurait permis à la juge Matteau de se pencher sur la question de la garde et sur la possibilité de faire nommer un procureur à l’enfant.
Il est clair qu’une façon différente de procéder aurait pu changer la perception du tribunal quant à la notion d’urgence.
En conséquence, nous considérons que la décision de la juge Matteau est bien fondée et qu’elle respecte les principes de droit applicables ainsi que la jurisprudence.
CONCLUSION
La tendance des tribunaux est assez claire : un parent ne peut se faire justice à lui-même et doit respecter les ordonnances d’une cour. Par ailleurs, dans certains cas, l’urgence de la situation peut fonder un parent à ne pas respecter un jugement de garde, mais cette situation doit être portée le plus rapidement possible à l’attention du tribunal afin qu’une décision puisse être rendue.
Il faut également éviter de placer l’enfant dans une situation conflictuelle où il se retrouve au centre d’un débat qui n’est pas nécessairement dans son intérêt véritable.
1 EYB 2009-157574 (C.S.)
2 A. c. B., sub. nom. Droit de la famille – 071180, EYB 2007-119812 (C.S.)
3 P. (É.) c. L. (J.), EYB 2007-120985 (C.A.)