Une récente décision rendue contre le Procureur général du Québec, aux droits du ministère des Transports du Québec (« MTQ »)1, rappelle avec justesse l’importance de l’obligation de renseignement du donneur d’ouvrage.
Dans cette affaire, Tro-Chaînes inc., entrepreneur spécialisé dans la réfection de structures de béton, poursuit le MTQ par suite de l’exécution du contrat que ce dernier lui a accordé pour la construction d’un portique de béton armé situé sur la route 271, au-dessus de la rivière Petit Saut. La réclamation porte sur le coût de travaux additionnels et autres coûts incidents, rendus nécessaires par la venue d’eau, lors des excavations effectuées sous le lit de la rivière.
Tro-Chaînes reproche au MTQ de ne pas lui avoir divulgué un rapport d’étude géotechnique qu’il avait en sa possession dont il avait connaissance des tenants et aboutissants. Le rapport était chose connue au Ministère et il était disponible lors de l’appel d’offres. Selon le MTQ, la divulgation du seul plan pertinent annexé à ce rapport intitulé « Reconnaissance des sols » suffisait à l’entrepreneur pour comprendre la nature des sols concernés. Le MTQ considère donc que les documents d’appels d’offres contenaient toutes les informations pertinentes et que l’entrepreneur avait plutôt mal interprété les cahiers des charges.
La Cour rappelle les paramètres de l’obligation de renseignement :
- La connaissance réelle ou présumée de l’information par la partie débitrice (ici le MTQ) de l’information;
- La nature déterminante de l’information en question;
- L’impossibilité du créancier de l’obligation (ici Tro-Chaînes) de se renseigner lui-même ou la confiance légitime de ce créancier de l’obligation. L’entrepreneur doit effectivement se renseigner et veiller à la conduite de ses affaires.
Trois facteurs sont particulièrement à considérer dans les contrats d’entreprise : la répartition des risques, l’expertise des parties et la formation continue du contrat. Ainsi, contractuellement, les conditions de sol et les méthodes d’exécution sont de la responsabilité de l’entrepreneur et font partie du risque qu’il doit assumer.
Un entrepreneur est toutefois justifié de faire confiance à l’expertise d’un donneur d’ouvrage public.
Ici, la Cour conclut que le rapport contenait des informations déterminantes sur les conditions de sol pour le soumissionnaire qui ainsi aurait pu connaître toutes les difficultés associées au projet, adapter ses méthodes de construction s’il en avait connu la teneur et fixer un juste prix pour les travaux à exécuter.
La Cour détermine aussi que le plan remis par le MTQ ne pouvait être dissocié du rapport qui lui était annexé. Le MTQ aurait dû fournir une information complète aux entrepreneurs soumissionnaires pour leur permettre de bien interpréter le plan remis. Ainsi, en prenant la liberté de ne pas joindre le rapport à l’appel d’offres, il a commis une faute d’omission et a manqué à son obligation de renseigner adéquatement les soumissionnaires.
Notons au passage que la Cour suprême du Canada2 avait déjà décidé que l’obligation de l’entrepreneur de se renseigner était amoindrie lorsqu’il s’agissait d’un donneur d’ouvrage expérimenté, comme c’est le cas dans cette cause.
Il a, en outre, été mis en preuve que le MTQ remet maintenant et depuis plusieurs années les rapports géotechniques aux soumissionnaires. Cette nouvelle façon d’agir, bien que n’étant pas un aveu selon la Cour, démontre l’importance reconnue de faire preuve de transparence dans le cadre d’un appel d’offres. Du reste, l’article 1375 du Code civil du Québec est on ne peut plus clair à cet égard : « La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. »
Isabelle Simard, avocate
1 Tro-Chaînes inc. c. P.G. du Québec, Cour supérieure, 200-17-015004-112, 22 mars 2013;
2 Banque de Montréal c. Bail Ltée (1992) 2 RCS 554