Les transactions corporatives réalisées dans le cadre des activités d’une entreprise sont habituellement, et de préférence, planifiées longuement et minutieusement par les professionnels appropriés tels que les avocats et les comptables. Pour les transactions importantes, il est usuel de retenir les services d’un fiscaliste afin d’anticiper l’impact fiscal de la transaction envisagée et de structurer les étapes des transactions à venir.
Les conseils prodigués par le fiscaliste que vous aurez retenu peuvent-ils entraîner sa responsabilité si les résultats escomptés ne sont pas atteints et que l’impact fiscal planifié est différent monétairement de ce que l’on vous avait représenté?
La Cour supérieure s’est récemment penchée sur cette question. Dans l’affaire Supra Formules d’Affaires inc. c. Rhéaume, le demandeur prétendait que le fiscaliste qu’il avait consulté relativement à une convention d’achat d’actions avait commis une faute dans l’évaluation des impacts fiscaux, lesquels ont été significativement plus importants que prévu; il lui réclamait, en conséquence, la somme de 720 066,73 $ en dommages et intérêts, somme représentant l’impact fiscal non prévu par le fiscaliste.
Dans cette affaire, le fiscaliste Morin est consulté de manière urgente par le demandeur M. Guertin, actionnaire d’une compagnie, et qui, dans le cadre d’un procès l’opposant à son coactionnaire, négocie à la dernière minute une entente à l’amiable pour l’achat des actions pour le prix de 1,9 million. Le demandeur Guertin conclut le règlement la veille du procès, mais se réserve le droit de vérifier les impacts fiscaux avant de conclure officiellement la transaction d’achat des actions.
Le demandeur Guertin rencontre le fiscaliste Morin rapidement la veille de la transaction, lequel lui est référé par son procureur. Le fiscaliste Morin ne connaît pas l’entreprise dont les actions sont vendues et ne peut prendre connaissance des documents corporatifs et financiers de celles-ci puisqu’ils ne sont pas disponibles. Les conseils qu’il a donnés au demandeur Guertin étaient de nature générale et procédaient par hypothèse, vu l’urgence et le peu d’information disponible. Le fiscaliste Morin avait recommandé au demandeur Guertin de consulter ses comptables habituels avant de conclure la transaction, conseil qu’il n’avait pas écouté puisque le lendemain, il avait signé la transaction relative à l’achat desdites actions.
L’impact fiscal de la transaction fut de 800 000 $ au lieu d’une somme évaluée initialement entre 100 000 $ et 150 000 $. Pour cette raison, le fiscaliste Morin est recherché en responsabilité professionnelle pour avoir fait défaut d’évaluer adéquatement l’enjeu fiscal.
Dans le cadre d’une transaction de cette nature, le fiscaliste doit se comporter de façon similaire au comportement qu’aurait adopté un fiscaliste normalement prudent et vigilant et démontrer qu’il ne s’est pas écarté des règles de l’art ou des normes établies et généralement acceptées dans ce domaine.
La faute du professionnel est en fonction de l’étendue de l’obligation qu’il a assumée et doit tenir compte des circonstances de la consultation et de la nature du mandat confié.
Par conséquent, le mandat limité qui avait été confié au fiscaliste Morin, l’urgence de la consultation et le peu de connaissances et de documentations échangées relativement à la compagnie, ne pouvaient permettre à un fiscaliste prudent et diligent de fournir des informations et des projections fiscales spécifiques et fiables. De plus, le caractère préliminaire de l’analyse avait été valablement dénoncé au demandeur Guertin. Par conséquent, le fiscaliste n’avait commis aucune faute lors des services et des conseils qu’il avait donnés à son client et il n’avait pas à garantir le résultat de ses conseils. Rappelons que l’obligation assumée par un fiscaliste en cette matière n’est pas une obligation de résultats, mais bien une obligation de moyens.
Ainsi, il ne suffit donc pas de consulter un professionnel dans le cadre d’une transaction pour espérer ensuite lui imputer toutes les conséquences négatives résultant des décisions alors prises.
Marie-Claude Gagnon, avocate