Le 29 juillet dernier, la Cour suprême du Canada1 a tranché un débat important concernant la portée de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après : « LNT »). Cet article prévoit le droit pour un salarié qui justifie de deux ans de service continu auprès d’une même entreprise, de contester son congédiement.
Les neuf juges de la Cour suprême se sont divisés à cinq contre quatre. Sans décider si l’article 124 LNT devait être intégré à chaque convention collective, la majorité des juges de la Cour suprême conclut que les principes de cet article ont préséance sur tout article d’une convention collective qui serait moins avantageux, relativement à l’acquisition du droit au grief pour contester les motifs de l’employeur en cas de congédiement ou de non-renouvellement de contrat.
En effet, ce caractère « d’ordre public » attribué par le législateur à l’article 124 LNT interdit dorénavant l’adoption et prive de tout effet les stipulations d’une convention collective qui empêcheraient un salarié justifiant de deux ans de service continu de contester son congédiement. La convention subsiste, mais les dispositions incompatibles avec la norme minimale sont privées d’effet.
Dans un premier temps, l’arbitre qui est saisi d’un grief de congédiement, aura juridiction pour vérifier si les principes prévus à la convention collective permettent d’accorder aux salariés congédiés un recours et des mesures de réparations équivalant à ce qu’offre l’article 124 LNT. Il devra cependant interpréter la convention collective en gardant à l’esprit que l’article 124 LNT est d’ordre public et a priorité hiérarchique sur le contenu de la convention collective. Donc, si le seul obstacle à ce recours utile est l’existence dans la convention collective d’une ou plusieurs dispositions moins avantageuses pour le travailleur que celles prévues dans la LNT, il doit écarter ces dispositions et entendre le grief comme si elles n’existaient pas. Il est donc désormais possible qu’un employé à statut précaire bénéficie d’un recours à l’arbitrage en vertu d’une convention collective même si cette dernière ne lui accorde pas le droit au grief.
La décision de la Cour suprême porte sur quatre dossiers distincts qui ont été tranchés selon les mêmes principes, mais pour lesquels les faits étaient différents.
Ainsi, bien qu’à première vue, cette décision semble faire en sorte que l’article 124 de la LNT est désormais intégré au texte de toute convention collective, (comme les dispositions relatives au harcèlement psychologique), tel n’est pas le cas; le résultat pratique sera cependant assez similaire.
En réalité, la Cour suprême, subtilement, ne dit pas que l’article 124 de la LNT est intégré à toute convention collective. Elle aborde plutôt l’article 124 comme une question de hiérarchie des sources du droit du travail québécois et, par conséquence, donne compétence aux arbitres de grief chargés d’interpréter les conventions collectives pour analyser le caractère impératif de la norme, qui interdit d’empêcher un salarié qui justifie de deux ans de service continu de contester son congédiement fait sans une cause juste et suffisante. Cela sera aussi vrai pour les contrats individuels de travail.
Ainsi, dans le dossier de « l’Université du Québec à Trois-Rivières », l’un des quatre dossiers à l’étude, la clause de la convention collective qui exigeait un nombre d’heures d’ancienneté requis pour avoir droit au grief excédant deux ans de service continu, était donc nulle de nullité absolue, réputée non écrite, de sorte que l’arbitre avait le pouvoir d’examiner les motifs du congédiement et de prendre les mesures réparatrices appropriées, comme si l’employé avait acquis son droit au grief.
Rédigeant pour la minorité des quatre juges dissidents, la juge Deschamps écrit que la question du caractère d’ordre public de l’article 124 est réglée et que plus personne ne le conteste. Selon elle, le litige ne porte que sur le tribunal apte à décider des plaintes de congédiement injustifiées. Est-ce la Commission des relations du travail ou l’arbitre de grief qui a juridiction?
Selon elle « Le législateur a établi un tribunal spécialisé à qui il a confié en exclusivité la responsabilité d’entendre les plaintes des employés qui ne disposent pas, dans leur convention collective, de procédure de réparation adéquate. » Les recours auraient donc dû être pris devant la Commission des relations du travail et non pas devant un arbitre de grief. Pour la minorité de la Cour suprême, l’article 124 n’est pas incorporé à la convention collective, mais toute disposition qui enlèverait à un travailleur ayant deux ans de service continu le droit de contester son congédiement, serait tenu pour nul. Cependant, pour elle, cela ne confère pas pour autant juridiction à l’arbitre de grief à moins que la convention collective ne l’indique. Bref, le seul aspect de la décision qui fait l’objet de la dissidence est le tribunal approprié pour entendre la contestation du travailleur. Selon la majorité, il aura le droit de loger son grief devant l’arbitre prévu à la convention collective dans la plupart des cas. La minorité, elle, aurait laissé le recours exclusivement devant la Commission des relations du travail.
La dernière partie de la décision de la majorité de la Cour suprême est cependant difficile à illustrer. En effet, le juge Lebel dit :
[42] (…) Le caractère impératif de la norme signifie plutôt que toute disposition conventionnelle incompatible avec l’interdiction du congédiement sans cause juste et suffisante d’un salarié justifiant de deux ans de service continu est réputée non écrite, ce qui modifie le contenu de la convention collective. (…) C’est à la lumière de ces modifications qu’il faut alors examiner la convention modifiée par l’effet d’ordre public de la loi pour déterminer si elle permet au salarié de contester son renvoi devant l’arbitre de griefs.
[43] Pour décider s’il existe un recours équivalent au sens de l’article 124 L.n.t., on doit alors examiner si le contenu modifié de la convention collective accorde des droits et recours équivalents à ceux que la L.n.t. accorde pour contrôler et sanctionner le congédiement sans cause juste et suffisante des salariés justifiant de deux ans de service continu. Ce n’est que si la convention n’accorde pas de tels recours que le salarié devra se pourvoir devant la C.R.T.
C’est donc dire qu’à la fin du processus arbitral, le salarié pourrait être redirigé vers la Commission des relations du travail.
Bien qu’exceptionnelle, cette dernière situation posera vraisemblablement des problèmes procéduraux puisque les délais pour déposer une contestation en vertu de l’article 124 LNT seront vraisemblablement expirés lorsque la décision de l’arbitre sera rendue. Cette question reste donc à déterminer.
En conclusion, bien que la Cour suprême ne conclue pas à l’intégration de l’article 124 comme une règle non écrite de toutes les conventions collectives, l’effet pratique de la décision demeure le même puisque toute convention devra être interprétée comme si elle ne contrevenait en aucun cas à l’article 124 qui est d’ordre public. Le résultat pratique est donc que les salariés à statut précaire ou dont le droit au grief n’est pas encore acquis mais qui jouissent de deux ans de service continu, pourront exercer leur grief devant un arbitre selon les règles de la convention collective.
Jean-Noël Tremblay, avocat
En collaboration avec Jennifer Villeneuve, étudiante
1 – Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2010 CSC 30, CANLII
– Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (procureur général), 2010 CSC 28, CANLII